En Afrique centrale, le virus Bilima, une maladie émergente « qui tue le corps mais pas l’esprit »

Article : En Afrique centrale, le virus Bilima, une maladie émergente « qui tue le corps mais pas l’esprit »
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29 mars 2019

En Afrique centrale, le virus Bilima, une maladie émergente « qui tue le corps mais pas l’esprit »

L’Afrique centrale est connue pour être l’origine de nombreuses maladies qui font froid dans le dos : Ebola, fièvre de Lassa, maladie à virus Marburg ou encore le SIDA. Le virus Bilima est la moins connue de ces maladies émergentes mais pas la moins effrayante puisque, selon les témoignages « Bilima tue votre corps mais pas votre esprit« .

Le Docteur H. Van Hangenhart, ancien spécialiste en épidémiologie à l’institut tropical d’Anvers raconte : « C’était en 1972, j’avais reçu deux échantillons provenant des cadavres de deux sœurs franciscaines qui résidaient depuis des années dans la province du Nord Kivu au Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo). Les témoins sur place, des paroissiens, ont raconté qu’elles sont tombées subitement malades d’une fièvre après un voyage de quelques jours en brousse, elles mourront toutes les deux 48 heures après le début de la fièvre, après une longue série de délires. Juste avant de mourir, les yeux des deux sœurs se sont révulsés avant que du sang ne sorte abondamment du nez. »

« Les enfants de l’école maternelle dans le Kivu » avec une soeur Fransiscaine. Source : Réseau Canopé

Le Docteur Van Hangenhart réalise des tests à l’époque sur les échantillons et isole un virus inconnu et décide de l’appeler virus Bilima suite à ce qui s’est passé après la mort des nonnes. « Ce qui m’a le plus perturbé dans les témoignages, poursuit Van Hangenhart, ce n’est pas la mort elle-même mais ce qui est arrivé après la mort des sœurs… Quelques heures après leur décès, alors qu’elles étaient encore dans ce qui faisait office de morgue au dispensaire du village, les habitants ont entendu des cris ou plutôt une sorte de longue plainte provenant du dispensaire. Le médecin belge, le docteur Schaert en charge du centre de santé a été voir ce qui se passait et il a dit avoir vu les deux nonnes debout, les yeux toujours révulsés, crier ce qui exprimait, selon lui, une souffrance atroce. Il a tenté de s’approcher d’elles pour les aider, elles avaient un aspect fantomatique, c’est pour cette raison que les infirmiers du villages nommèrent, terrifiés, « Bilima », (les fantômes en lingala, langue locale), à la vue de ces nonnes revenues de la mort. »

Docteur Van Hangenhart. Source : Institut Tropical d’Anvers

Le médecin belge, aidé de trois de ses infirmiers tentèrent bien d’immobiliser les nonnes pour tenter de les aider mais elles se défendait farouchement, tout en criant atrocement. Elles ont fini par mordre le médecin et deux infirmiers à sang. Les nonnes ne réapparurent jamais, selon les témoignages, même si des cris ont été perçus durant plusieurs nuits après leur « réveil » et leur évasion dans la brousse environnante.

« L’histoire ne s’arrête pas là, termine l’épidémiologiste tropical, visiblement ému. Le docteur Schaert était un très bon ami, nous avons fait nos études ensemble… Tous les membres du village restaient terrés dans leurs cabanes. Mais quand le docteur belge et ses infirmiers mordus ont commencé à avoir de la fièvre, il a donné l’instruction suivante au reste du personnel du dispensaire : ‘Quand nous serons morts pour la première fois, vous devrez nous enterrer loin du village, deux fois plus profondément que dans une tombe normale.’ Le docteur Schaert a même demandé que les tombes soient creusées à l’avance. Mais l’un des infirmiers, probablement effrayé par la décision de Schaert, s’est échappé… On ne l’a plus jamais revu ou en tous cas, sous sa forme incarnée… » C’est avec cette phrase énigmatique que le Dr Van Hahgenhart conclut son récit.

Un dernier témoignage ?

Là, on est en 1975. Jane Massey, qui était l’envoyée spéciale du magazine Living Earth pour lequel elle travaillait à l’époque, réalisait un reportage sur les gorilles à dos argentés au Rwanda, pas loin de la frontière avec le Zaïre. Elle raconte ce dont elle a été témoin à ce moment :

Jane Massey durant son reportage au Rwanda. Source : Earth Magazine

« Alors que nous traversions une étroite vallée, j’ai remarqué quelque chose qui remuait dans le feuillage, en contrebas. Notre guide aussi. Il nous a forcé à accélérer le pas. Soudain, j’ai « entendu » quelque chose de quasi inimaginable dans cette partie du monde : un silence total. Aucun animal, aucun oiseau, pas le moindre insecte, or là on parle d’insectes habituellement très bruyants. Du fond de la vallée montait un gémissement à vous donner la chair de poule. Kevin (le photographe de l’expédition) est devenu encore plus pâle que d’habitude, répétant ad nauseam qu’il devait s’agir du vent. Le vent… A d’autres… (…) Je peux vous assurer que ce n’était PAS le vent. Kengeri a saisi sa machette et nous a ordonné de nous taire. Je lui ai répondu que je voulais descendre pour en avoir le cœur net. Il a refusé. Comme j’insistais, il a dit dans un souffle : ‘Il y a un mort là-bas, Bilima’, avant de reprendre sa route. Kengeri me raconta plus tard l’histoire de deux nonnes qui, quelques années plus tôt dans le Zaïre voisin s’étaient enfuies après être « mortes » en faisant des cris atroces et de cet infirmier, mordu par l’une de ces nonnes qu’on avait jamais retrouvé. Je ne suis pas du genre à gober des histoires de zombie mais j’avoue que j’en avais la chair de poule à l’écoute de ces histoires. »

Massey n’explora jamais la vallée, qui ne peut, en fonction de sa configuration, recevoir de grandes goulées de vent… Mais suite à ses recherches sur place en interrogeant les habitants de la région, elle raconte que « les personnes parlent de Bilima, c’est parfois sous forme de légende ou d’histoires pour faire peur aux enfants pour qu’ils ne s’éloignent pas des maisons la nuit mais il y a des personnes qui disent avoir vu des Bilima crier, des adultes, et vous pouvez me croire, ils avaient peur en évoquant ce mot, Bilima, je sais voir la peur dans le regard des gens ».

Un risque de résurgence de la maladie, comme Ebola ou le SIDA ?

Le virus Ebola tient son nom de la rivière Ebola où il a été repéré pour la première fois en 1976 au Zaïre et depuis, la maladie est connue pour apparaître, disparaître et réapparaître à nouveau dans différentes régions d’Afrique subsaharienne. Le réservoir naturel de la maladie Ebola, c’est-à-dire le ou les animaux qui sont porteurs de la maladie en milieu naturel en dehors des humains, n’est pas encore identifié. Même si on pense qu’il s’agit, entre autres, de chauves-souris frugivores Eidolon spp., Rousettus spp. ou de rongeurs sylvestres. Pour le virus Bilima, aucune piste en ce qui concerne son probable réservoir naturel n’est évoquée scientifiquement. La maladie n’a plus été observée depuis la fin des années 1970. Cela ne veut pas pour autant dire que la maladie ait été éradiquée ou ait disparue. Les épidémiologistes sont unanimes. « Comme pour Ebola, une maladie qui est apparue à un moment, peut réapparaître, ce n’est pas parce qu’on ne voit pas d’humains malades qu’elle n’est pas là, explique Martine Peeters, virologue à l’unité multidisciplinaire UMI 233 de l’Institut de recherche pour le développement de Montpellier. Si des personnes ont été contaminées, même il y a quelques décennies de cela, ça veut dire qu’elle est là, en embuscade. On a pu voir cela avec le SIDA. »

Le SIDA est en effet un très bon exemple. La première publication sur des cas de SIDA remonte à 1981, et l’identification du VIH de type 1 (VIH- 1, le plus répandu dans le monde) à 1983. Le point de départ a été localisé en Afrique centrale, plus précisément dans l’ancien Congo belge, devenu Zaïre. Il ne faisait pas de doute que le SIDA était une forme ayant évolué à partir d’un virus du singe, passé à l’homme et sorti de la forêt. Cependant, des pans entiers du démarrage de l’épidémie restaient dans l’ombre. Pour l’éclairer, l’équipe composée de chercheurs européens et nord-américains a analysé les séquences génétiques de plusieurs centaines d’échantillons de VIH-1 prélevés dans l’ex-Congo belge, ainsi que dans des pays voisins, au cours du XXe siècle, et conservés au Laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique). Cela leur a permis de remonter le temps en suivant l’apparition des mutations du virus en même temps que sa localisation. Ils ont confronté ces résultats à l’histoire des activités humaines dans ces régions pour essayer de comprendre les circonstances ayant permis à l’épidémie de se propager. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue Science : Early AIDS virus may have ridden Africa’s rails.

« Nous avons rassemblé les pièces du puzzle pour établir où et quand le virus était passé de son réservoir animal pour passer à l’homme, résume Martine Peeters, virologue et cosignataire d’un article sur l’émergence du SIDA depuis le début du XXème siècle publié dans la revue Science. Ce passage du singe à l’homme s’était sans doute produit à plusieurs reprises sans qu’une épidémie se déclenche, le virus restant cantonné à la forêt, mais le virus s’est trouvé au bon endroit au bon moment, et l’épidémie a démarré. En l’occurrence, la souche à l’origine de la pandémie avait pour hôtes des chimpanzés vivant dans le sud-est du Cameroun. Aux alentours de 1920, un homme contaminé (par consommation de viande de brousse ou par une blessure alors qu’il chassait) a voyagé jusqu’à Kinshasa, qui allait être le berceau de l’épidémie. L’examen des archives coloniales a montré le développement intensif à cette époque des échanges commerciaux par voie fluviale entre ces deux régions, notamment pour le commerce de l’ivoire et du caoutchouc.

Colon belge et ses porteurs. Source : lecomptoir.org

Puis, des années 1920 aux années 1950, l’urbanisation et les transports, en particulier ferroviaires, ont pris leur essor, en lien notamment avec l’industrie minière. Kinshasa devenait alors une plaque tournante. En 1937, l’ancêtre du VIH-1 pandémique a commencé à être retrouvé à Brazzaville, la capitale de l’ancienne colonie française du Congo, située à 6 kilomètres de Kinshasa, de l’autre côté du fleuve Congo. Vers la même époque, le virus se dissémine à d’autres grandes villes de l’actuelle République démocratique du Congo situées au sud-est de Kinshasa. D’abord Lubumbashi, pourtant plus éloignée, puis, environ deux ans plus tard, à Mbuji-Mayi, le tout suivant la voie ferroviaire. Empruntée par plus de trois cent mille personnes par an en 1922, cette ligne de chemin de fer, traversant d’ouest vers le sud-est le pays, en transportait plus d’un million en 1948. Au cours de la décennie suivante, c’est par la voie fluviale que le virus gagne Bwamanda et Kisangani, dans le nord- est du pays.

Les activités humaines, le travail migrant, le développement d’activités de prostitution et la pratique d’injections de traitements contre les infections transmises sexuellement avec du matériel non stérile (seringues et aiguilles réutilisées pour plusieurs personnes) ont constitué les facteurs d’amplification de l’épidémie naissante.

La présence d’Haïtiens venus travailler au Congo-Kinshasa, qui venait d’accéder à l’indépendance en 1960, explique que certains d’entre eux aient importé le virus dans leur pays à leur retour, aux environs de 1964. A partir de là, le virus a gagné les Etats-Unis, tandis que dans le même temps, il se propageait à d’autres pays d’Afrique subsaharienne. La suite est connue. Le virus a infecté 75 millions d’individus à travers le monde et a causé la mort de 36 millions de personnes.

Et en ce qui concerne le virus Bilima ? Si des humains ont été victimes de ce virus ça veut dire qu’il est adapté à son nouvel hôte humain. C’est dès lors une question de contexte pour qu’une épidémie voire une pandémie puisse surgir. Et le contexte actuel du Kivu y est propice : la région est parcourue depuis des décennies par de violents groupes armés semant chaos et terreur sans que la communauté internationale ne puisse agir de manière efficace.

Un grand nombre de civils trouvent refuge dans la forêts et dans des camps de réfugiés aux conditions extrêmement précaires. On peut véritablement parler de guerre oubliée dans le Kivu, 134 groupes armés ont été recensés dans le Nord du Sud Kivu, les massacres sont monnaie courante et on parle, en termes de victimes, du plus important conflit depuis la deuxième guerre mondiale.

A lire aussi : Sida : où, quand et comment la pandémie mondiale est-elle née ?

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Commentaires

Brama
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N'oubliez pas la vaccination de dizaines d'Africains faisant parti du Congo belge en 1920...pour tests..avec des vaccins provenant de ??? Je vous laisse chercher