Lagrenouille

Le racisme est une pseudo-science d’origine européenne

Suite à la publication de mon billet L’image du racisme et de sa diffusion sur l’agrégateur d’infos News Republic (si vous voulez me suivre sur News Republic, il faut télécharger l’appli, c’est par –> ici <– ) une foule de commentaires ont été postés, des gentils et des moins gentils, c’est intéressant. Mais que les commentaires soient gentils (merci pour le soutien ;-)) ou pas gentils (voire haineux), ils ne sont pas argumentés par des faits ou des références et sont souvent basés sur des opinions donc, forcément subjectives.

Human skin and hair. CC :Scan made by Olahus – Berghaus’ Physikalischer Atlas. Wiki Commons

Mais je le réaffirme : le racisme en tant que pseudo-science est une initiative d’origine européenne et le blanc y est placé au sommet d’une hiérarchie raciale, toute aussi subjective. Aussi, nous payons toujours le prix haineux de cette idéologie. Voici de quoi argumenter mes propos.

Pour commencer, si on parle de racisme, il faut bien le définir et pour cela, je reprendrai la définition du Réseau Canopé qui a réalisé tout un dossier sur le racisme et la xénophobie : Le racisme désigne communément une attitude d’hostilité, allant du mépris à la haine, à l’égard d’un groupe humain défini sur la base d’une identité raciale ou ethnique. Clairement, selon cette définition, le racisme n’est pas l’apanage des humains à peau claire mais de tout le monde et a été présent à toutes les époques historiques, on peut évoquer l’esclavage imposé par les Égyptiens, les Grecs antiques qualifiant de « barbares » les non-grecs par exemple comme étant des actes racistes. Et pour reprendre à nouveau le Réseau Canopé, Le phénomène se laisse assez facilement cerner dans ses manifestations idéologiques les plus explicites, liées à des contextes historiques précis (esclavagisme, essor des nationalismes, nazisme, ségrégation…).

Pourquoi alors – et c’est ce qui m’a valu autant de réactions dans mon précédent post – est-ce que j’évoque le racisme en tant que théorie d’origine blanche ? Pour les raisons suivantes : c’est en 1902 que le mot racisme a été utilisé pour la première fois en France et en Angleterre pour qualifier l’idéologie et l’action de groupuscules d’extrême droite. L’attitude d’hostilité, de mépris et de haine entre certains peuples existaient bien avant cela mais n’avait jamais été théorisée de manière aussi systématique que lors de l’invention du racisme en tant que théorie. La notion de race en tant que telle, pour tenter de classer les humains, apparaît beaucoup plus tôt avec des théoriciens tels qu’Emmanuel Kant par exemple (mais il y en a plein d’autres) et son ouvrage « Des différentes races humaines » , publié en 1775. Arthur de Gobineau a publié en plusieurs tomes de 1853 à 1855 son « Essai sur les inégalités des races humaines » et prône déjà la supériorité de la « race blanche » sur les autres. Un manuel d’histoire (Histoire de France, conforme aux programmes officiels du 18 janvier 1887 par C.S. Viator.) précise ceci :

« On distingue trois races humaines :

  • la race noire (descendants de Cham) peupla l’Afrique, où elle végète encore ;
  • la race jaune (descendants de Sem) se développa dans l’Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d’esprit positif, adonnés aux arts utiles, mais peu soucieux d’idéal, ont atteint une civilisation relative où ils se sont depuis longtemps immobilisés ;
  • la race blanche qu’il nous importe spécialement de connaître, a dominé et domine encore le monde. »

Ces tentatives de classification et de hiérarchisation se font en parallèle avec les développements de la systématique, la classification à visée scientifique du vivant en différents groupes initiée par le suédois Carl von Linné qui, dans sa première édition du Systema Naturae de 1735, divise H.sapiens (dénommé H. diurnus à ce moment, il sera renommé H. sapiens dans la deuxième version de Systema naturae de 1758) en cinq « variétés » ou « espèces » ; on peut de ce fait considérer Linné comme un précurseur du « racisme scientifique » .

Le réseau Canopé explique très bien la notion de race selon des critères biologiques : « À l’origine, le racisme a d’abord une assise biologique. Présupposant l’existence de groupes humains nommés « races », il postule que les membres de chaque « race » ont en commun un patrimoine génétique qui détermine leurs aptitudes intellectuelles et leurs qualités morales. Savants et littérateurs expliquent que ces « races » seraient hiérarchisables en fonction de la qualité de ce patrimoine, qui conférerait à certaines d’entre elles le droit, sinon le devoir, de dominer les autres. »

Le débat sur la hiérarchisation est populaire au début du vingtième siècle lorsque les puissances coloniales européennes se posent la question de savoir si le métissage serait un facteur de dégénérescence des races supérieures si les colons blancs ont des enfants avec les colonisés de races inférieures. Frédéric Régent reprend dans son ouvrage Esclavage, métissage, liberté le schéma simplifié appliqué à la taxonomie de la population de Guadeloupe au dix-huitième siècle :

Nègre et blanc donne un mulâtre ; nègre et mulâtre donne un câpre ; mulâtre et blanc donne un métis ; métis et blanc donne un quarteron, quarteron et blanc donne un mamelouk.

Assumani Budagwa dans son excellent livre Noirs, blancs, métis explique que le mot « Mulâtre » par exemple, dérive de l’espagnol « mulato », mulet, qui est le résultat du croisement entre un âne et une jument et qui se caractérise par l’infécondité. « Le débat sur la fécondité des métis a mobilisé tout un temps l’attention coloniale » explique A. Budagwa. A tel point, d’ailleurs, que des Congrès Coloniaux et des Congrès Universels des races ont été organisés dans plusieurs grandes villes européennes dans les années 1910 et 1920, la question du mélange de la race y était une obsession jusqu’à développer une véritable mixophobie – selon les propos de Pierre André Taguieff – qui systématise six présuppositions à la doctrine de cette peur du mélange des races :

  1. Chaque race correspond à un type humain qu’on présume stable.
  2. Il y a des types humains supérieurs et des types humains inférieurs.
  3. A chaque type correspond une qualité spécifique de « sang ».
  4. La valeur d’une race réside dans la pureté de son sang, la valeur raciale d’une population mélangée réside dans la proportion de sang de race supérieure qu’elle contient.
  5. Le métissage ou croisement entre races est un mélange de sangs. La procréation s’opère comme une « transfusion sanguine » censée transmettre aptitudes et inaptitudes. L’immigration elle-même conçue comme une « transfusion sanguine massive » autant que « comme greffe interraciale ».
  6. Le mélange détruit irréversiblement la qualité différentielle des « sangs », donc les valeurs spécifiques des races mélangées. Le métissage tend inévitablement à profiter à la race « inférieure » : il « médiocrise ».

Et, comme l’explique A. Budagwa au sujet des cette doctrine de la mixophobie, « le Congrès Colonial International et le Congrès Universel des Races en ont tiré des enseignements ou des arguments qu’ils utiliseront pour influencer les politiques coloniales en la matière. »

Je pourrais encore écrire longtemps sur ce qui a été dit et affirmé lors de ces congrès mais une chose essentielle est à retenir : d’un point de vue historique, la ségrégation entre les peuples et leurs origines n’a jamais aussi été affirmée qu’après sa théorisation raciste par les puissances coloniales européennes.

Cette tentative de théoriser le concept de race sera un échec puisque les développements modernes de la génétique ont déterminé que nous sommes une seule espèce, H. sapiens, et qu’il n’existe pas de groupes biologiques significativement différents au sein de notre espèce pour conclure à une quelconque validation du concept de races. Je vous propose de consulter l’article scientifique de Pigliucci, On the Concept of Biological Race and Its Applicability to Humans (2003) à ce sujet que je mets à disposition ici.

Malheureusement, le concept n’est pas mort pour autant et à muté en une sorte de « racisme culturel », préconisant une inégalité culturelle des peuples, parfois aussi associé à des concepts biologiques jamais démontrés. Bref, le concept de race est une chose très vague, que Monsieur et Madame tout-le-monde  semblent comprendre mais totalement incapable d’expliquer rationnellement. C’est sur cette ignorance et la peur des autres que surfent les discours haineux des extrêmes droites, avec ou sans cravates.

Pour illustrer cette confusion et la haine qu’elle suscite, je voudrais reprendre les points 5 et 6 de la doctrine mixophobe qui me font rappeler la base théorique du supposé Grand-remplacement,  théorie raciste développés par les intellectuels de l’extrême droite moderne. Le Grand remplacement ne vous dit probablement rien de grave mais vous en pensez quoi si on vous dit que le « Grand remplacement » est le titre du manifeste publié par le terroriste de Christchurch dans la matinée du vendredi 15 mars sur son compte Twitter, juste avant son passage à l’acte pour justifier le massacre de 50 personnes dans deux mosquées ? Le « Grand remplacement » est une référence à un ouvrage de 2011 de l’écrivain français Renaud Camus qui y développe la thèse du même nom. Il y dénonce un prétendu remplacement en cours des populations blanches européennes – ou occidentales– par des immigrés de couleur et en grande partie musulmans.
A oublier l’historique du concept de race et ses conséquences, à faire revenir ces théories maquillés par les cravates de l’extrême droite, on est en train d’accepter un terrible retour en arrière idéologique très dangereux. Accepter ces théories c’est remettre des barrières supplémentaires entre les peuples, discriminer, séparer. La ségrégation est le terreau de la haine. Et plus que jamais, il ne faut pas banaliser les propos de l’extrême droite, il faut les combattre par la raison.

Sur ce, je vous laisse avec l’atomique Sophia Urista dans le projet Brass Against et sa reprise de « Know your enemy » de Rage Against the Machine :

Lâchez-vous dans les commentaires !

J’adore débattre.

Pour en savoir plus sur le racisme et la xénophobie, voici quelques sites et lectures recommandées + références pour la rédaction de cet article :

Noirs, blancs, Métis, Assumani Budagwa, La Belgique et la ségrégation des métis du Congo belge et du Ruanda-Urundi (1908-1960), 2014

Esclavage métisasge liberté, Frédéric Régent. Ed Grasset 2005. (Lu dans A. Budagwa)

La force du préjugé, Pierre André Taguieff. Paris, La découverte 1988. (Lu dans A. Budagwa)

Le Réseau Canopé et son dossier pédagogique pour éduquer contre le racisme et l’antisémitisme.

L’histoire du racisme sur Vikidia pour trouver des moyens simples d’expliquer l’origine du racisme aux plus petits.

Aux origines du racisme, un dossier de la revue Sciences Humaines.

Une interview de Toni Morrison, une militante américaine, suite à sa série de 6 conférences « L’origine des autres ».

Les identités meurtrières, la fameux livre d’Amin Maalouf.

Résistances.be, le site belge de l’observatoire de l’extrême droite.

Le site du MRAX, Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

[Comment l’expliquer à mes enfants ?] Je cherche un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants : pourquoi des frères et des sœurs décident de tuer leurs propres frères et leurs propres sœurs pour une idéologie, pour un dogme, pour rien d’objectif, en fait ?


Le premier avion de l’histoire a été inspiré par l’aile de la chauve-souris

L’aile de la chauve-souris a été une grande source d’inspiration pour la conception d’objets volants, de Léonard de Vinci en passant par Clément Ader. Quelques explications.

Dessins originaux d’Ader pour le dépôt de son brevet d’invention de l’avion. Domaine public, https://commons.wikimedia.org

C’était en 1890 que Clément Ader faisait décoller le premier avion à moteur de l’histoire, « Eole », marquant ainsi, le début de l’aviation. Mais avant de concevoir son avion, Ader s’était procuré des Roussettes des Indes : d’énormes chauve-souris dépassant les 1,10 mètres d’envergure ; il les a observées voler dans une volière qu’il avait construite dans son jardin à Paris. Suite à ses observations, Ader conçoit le premier modèle d’Eole et tente un premier essai le 9 octobre 1890. Grâce à ses ailes et un moteur 4 cylindres à vapeur à brûleur à alcool, le premier avion à motorisé s’élève à une hauteur de 20 cm sur une longueur de 50 mètres ! Ce mini-vol se fait sans véritable contrôle de l’appareil, il faut dire. Des copies ultérieures d’Eole ont cependant réussi à voler plus efficacement.

Eole en vol, (avion III, 1897) le premier avion à moteur avec ses allures de chauve-souris. CC : Wikimedia Commons

Plus étonnant encore, selon moi (car plus ancien), ce sont les modèles d’ailes qui ont été imaginés par Léonard de Vinci pour voler !

Alors oui, d’accord, on pourrait me reprocher mon manque d’objectivité, dire que je vois des ailes de chauve-souris dans toutes les inventions planantes de l’Humanité mais Léonard de Vinci a réalisé les croquis de plus de 400 machines volantes dont quelques-unes à ailes battantes. Et là, avec les ailes battantes, il s’est retrouvé face à un problème : le poids des ailes était trop important pour être supporté par des bras humains et pour effectuer des mouvements de battements en même temps. La solution ? S’inspirer de la voilure légère des chauve-souris.

Dessins réalisés par Léonard de Vinci dans le but de concevoir une machine à voler. Drawingsofleaonardo.org
La nature, le vivant, est une grande source d’inspiration pour la technologie d’Homo sapiens. Imiter la nature pour le développement de technologies, c’est le biomimétisme. A ce sujet, on attribue l’un des premiers vols réussi à l’Ottoman Hezârfen Ahmed Çelebi en 1632 après s’être élancé de la tour Galata à Istambul et aurait parcouru une distance de plus de 3500 mètres ! Je me demande bien à quoi pouvait ressembler les ailes de son appareil… oiseau ou chauve-souris ?

En bon prof de bio, je ne résiste pas à l’envie de te faire réaliser une chauve-souris en papier, du biomimétisme pratique mais ça, ça sera pour la semaine prochaine !

Mais histoire de te faire patienter, voici une expérience de bionique : un avion en papier qui reproduit des mouvement d’être vivant, en l’occurrence, les battements d’ailes d’oiseau, ou de chauve-souris, c’est selon :

Merci de m’avoir lu, et parle des chauve-souris autour de toi !


Première rencontre avec des roussettes

C’était difficile pour moi, à ce moment là, de savoir que j’allais les fréquenter et les suivre pendant quelques années, après en être presque tombé amoureux, un début de soirée d’octobre 2009. Vous comprendrez le coup de foudre après avoir vu une vidéo d’elles.

Premières rencontres

C’était un peu par hasard, en 2009 à la tombée de la nuit à Kigali au Rwanda, en plein cœur de l’Afrique que je les ai vues. Ce n’était pas facile à voir et donc, je n’étais pas sûr de ce que je voyais.

roussettes kiyovu
Roussettes paillées en plein vol, Kigali, Rwanda. Eric Leeuwerck CC-BY-NC

A une centaine de mètres de hauteur, des volatiles se déplaçaient en groupe et en ligne droite. Ça me faisait penser au vol des corbeaux mais ce n’étaient pas des corbeaux. La lune déjà placée dans le ciel rajoutait du mystère à la scène. En essayant de suivre le vol d’un volatile en particulier je me suis rendu compte que ça n’avait pas l’allure d’oiseaux, mais de chauve-souris. Pour les voir à une telle distance, elles devaient être sacrément grandes ! Je n’avais pas fait tout de suite le lien entre ces observations à la tombée de la nuit et les drôles de cris qu’on pouvait entendre certains soirs dans les arbres de mon jardin : c’étaient ces mêmes chauve-souris qui venaient manger des fruits dans les arbres, voici une vidéo d’elles tournée en décembre 2016 :

Fin septembre 2011, j’avais pu observer un groupe de chauve souris ; elles devaient être plusieurs centaines voire un millier à tourner au-dessus de Kiyovu, mon ancien quartier, une colline de Kigali. C’était spectaculaire, j’ai pu observer une extraordinaire maîtrise du vol : leurs ailes ont une envergure d’au moins cinquante centimètres pour les plus grandes et leur tête est loin d’être rebutante. J’ai aussi été étonné de constater que leur vol est semblable à celui des oiseaux, elles volent à vue et c’est pour cette raison qu’elles ont de gros yeux.

Cette grosse espèce de chauve-souris frugivore s’appelle la Roussette paillée africaine, Eidolon helvum : les individus ressemblent à de petits renards volants, sauf pour le teint de leur pelage, plus prononcé pour les mâles, jaune-doré. Et ça faisait du bruit, beaucoup de bruit, en pleine journée de cours. Je pensais que ces déplacements étaient normaux pour l’espèce, j’en ai donc profité pour aller les observer avec mes élèves. Je ne savais pas en fait qu’elles étaient en train de se faire chasser. Elles ont tournoyé deux jours et ensuite, ont disparu.

Un peu plus tard à l’école où j’enseigne, une élève m’a signalé une chauve-souris malade dans une rigole. Je l’ai récupérée mais je ne savais pas trop quoi faire. Elle était très faible. Elle rampait au sol, les membranes entre ses doigts étaient encombrantes au sol et son allure était beaucoup moins gracieuse que ses congénères que j’avais vu voler. Muni de gants, je l’ai prise, elle essayait de grimper sur mes bras mais n’a jamais essayé de me mordre. Elle semblait toussoter, sa respiration était sifflante.

A la fin des cours, je l’ai placée sur une branche d’un arbuste de l’Ecole, tête en bas, bien sûr. La roussette me suivait du regard. J’ai essayé de lui donner de l’eau, elle a refusé. Je n’ai pas su quoi lui donner à manger, je ne savais pas encore qu’elle était frugivore.
Je pensais que durant la nuit, elle allait se laisser tomber de sa branche pour reprendre son envol car, à la différence des oiseaux, les chauve-souris ne peuvent pas se donner d’impulsion depuis le sol pour prendre les airs : elles doivent atteindre un point élevé, en grimpant sur une arbre par exemple, en s’agrippant avec les griffes de leurs pouces et de leurs pieds, et ensuite se laisser tomber d’assez haut pour déployer leurs ailes et voler activement. Mais elle ne s’est pas envolée.

Le lendemain matin, elle était toujours là, morte, la tête tendue vers le sol, les yeux entrouverts et la langue sortie. Sa bouche entrouverte laissait apercevoir ses dents, ressemblant à celles d’un chiot. Avec ses ailes repliées autour d’elle, ses poignets de part et d’autre de sa poitrine, elle semblait dormir, comme un vampire dans son cercueil.

(Depuis, je vous rassure, j’ai réussi à en sauver quelques-unes ;-))

Je n’ai pas pu m’empêcher de saisir une aile de la Roussette et de l’étendre, c’était magnifique à voir, ses doigts fins, grêles qui tendaient cette membrane permettant un vol remarquable, un bijou de l’évolution.

Si vous voulez en savoir plus sur l’aile de la chauve-souris, j’ai fait un article sur Kidi’Sciences à ce sujet… Ça va de Léonard de Vinci en passant par Ader qui, pour construire le premier modèle d’avion de l’histoire a choisi le design des ailes de chauves-souris, des Roussettes des Indes. 

Eole en vol, (avion III, 1897) le premier avion à moteur avec ses allures de chauve-souris. Wikimedia Commons
Eole en vol, (avion III, 1897) le premier avion à moteur avec ses allures de chauve-souris. Wikimedia Commons

Bon allez, je partagerai avec vous un article sur l’aile de la chauve-souris la semaine prochaine sur ce blog et dans deux semaines, je vous expliquerai comment faire votre propre chauve-souris à la maison  😉


« Ne prenez pas ce que vous avez ici comme un acquis, il y a du sang derrière » [Comment l’expliquer à mes enfants ?]

Mardi trente avril nous avons organisé à l’école une journée de réflexion et de commémoration sur le génocide qui a eu lieu ici, au Rwanda, il y a 25 ans contre les Tutsis. Différents intervenants sont venus témoigner… Des récits poignants, vécus en chair propre.

Nos élèves sont très jeunes, ils ont entendu parler du génocide, dans les familles, parfois. On reste souvent souvent discret à ce sujet. Des personnes ont survécu et partagent parfois leurs récits. On en parle au cours, ils ont visionné des documentaires ou des films, mais on ne retire pas à nos ados leur belle jeunesse et leur innocence.

Mais la mémoire doit être transmise.

« Ne prenez pas ce que vous avez ici comme un acquis, il y a du sang derrière »

J’ai rarement vu mes élèves de quatrième secondaire aussi attentifs. Le militaire qui est venu témoigner dans notre groupe avait à peine 19 ans quand il a décidé de prendre les armes. Il était réfugié au Burundi en cette année 1989.

Novembre 1989… Ce mois-là, pour moi, c’est le souvenir de mon prof qui s’est mis à pleurer après la chute du mur de Berlin. Je finissais mes années de primaire, et un cycle de l’Histoire se clôturait, j’avais du mal à comprendre l’émotion des adultes, de mon grand-père aussi qui, lui, avait fait la guerre et passé quatre ans emprisonné en Allemagne ; il avait dépouillé le libraire du coin de la rue de toutes ses éditions spéciales de magazines et quotidiens du 9 et 10 novembre. Ce que je comprenais c’est que le monde n’était plus divisé en deux, qu’on allait arrêter de parler de bombes nucléaires et que l’humanité allait reprendre un visage humain. Douce innocence, belle jeunesse.

Au Rwanda, un jeune homme décidait de prendre les armes en 1989. « On avait 19 ans, on regardait Rambo, on croyait que c’était comme ça qu’on allait revenir au Rwanda. » Je dois avouer que j’imaginais qu’un militaire qui allait témoigner ça allait être un discours, sur la nation, l’amour de la patrie, le sacrifice. Il a évoqué l’amour de la patrie, certes, mais quand il arrivé dans son uniforme bleu de la force aérienne, il a regardé nos jeunes ados de classe moyenne, privilégiés, oui, il faut quand-même le dire, et on aurait dit qu’il s’était revu lui, à leur âge. « Vous savez, dit-il, j’étais un des meilleurs élèves de mon école, mais j’étais en marge de la société. Je n’avais pas d’avenir au Burundi comme réfugié et si je revenais au Rwanda, je n’avais pas d’avenir non-plus. Je n’avais pas d’autre choix. » La réalité était évidemment loin d’être comme dans un film. Ça a été dur de trouver les militants armés du Front Patriotique Rwandais dans la forêt qui de plus, était en déroute… Les pires ennemis des quelques militants de la guérilla étaient la faim et les maladies. Toutefois, la lutte devait continuer.

Au Rwanda, la société avait d’abord été classée entre Hutus, Tutsis et Twas par les colons. Ensuite, les Tutsis avaient été symbolisés par une allure, une taille et un nez ce qui les mènera à être discriminés aux sein de leur propre société, à ne plus avoir les mêmes droits que les autres. Ils ont très vite perdu leur humanité, et sont devenus des cafards, inyenzis ou encore des serpents, inzoka. Et les serpents, on les tue. Certains prétendaient même que les rebelles Tutsis armés avaient des cornes sur leur tête et une queue dans le bas du dos. La société s’est alors vite divisée, polarisée et des « hutus modérés », opposés aux plans futurs d’extermination, commençaient à être assassinés. Les humains d’un côté et le reste devait attendre son sort. Et en 1989, le sort des serpents et des cafards, était en train de se préparer. Les persécutions se répétaient, cependant les massacres qui allaient avoir lieu seront d’une ampleur horrifiante pour viser l’extermination des Tutsis.

Statuettes en bois
Statuettes en bois, Bujumbura. CC E. Leeuwerck

Évidemment qu’on a tous vu un uniforme rentrer, moi, mes collègues et nos élèves. Mais quand les yeux du militaire ont cligné, qu’il se retenait de pleurer, on a juste revu un gamin de 19 ans, un humain. « En 1993, nous explique-t-il, lors des accords de paix, lorsque nous nous sommes retrouvés face à face, les soldats des Forces Armées Rwandaises venaient voir derrière nous si on avait une queue et des cornes sur la tête comme on leur avait dit, mais ils étaient surpris de ne pas voir tout ça. Il y a eu de l’espoir à ce moment, on pensait qu’on allait rentrer au pays sans devoir nous battre. Mais ça n’allait pas se passer comme ça. »

Un élève demande : « Vous avez eu peur au front ? ».  « Oui, bien sûr. » L’homme devant nous, derrière son pupitre dans son uniforme bleu est toujours aussi ému. « On a tous peur, c’est ça qui nous tenait. J’avais l’espoir que mes enfants puissent vivre dans une société sans connaître la peur. Et puis, on survit un jour. Et puis, un autre. Et finalement on a l’espoir qu’on va terminer cette guerre vivant. Quand on est arrivés à Kigali, il y avait des morts, des morts partout. Et puis, on nous annonce qu’on a gagné. Les politiciens ont alors commencé à travailler et moi, je suis parti à la recherche de mes parents… » Il n’avait plus revu ses parents depuis son exil au Burundi, il retrouvera leurs dépouilles au milieu des cadavres amoncelés dans l’église de la Sainte Famille à Kigali.

« Vous avez tué ?« , demande un élève. « C’était la guerre », répond le militaire. Et ses yeux sont à nouveau humides. Et à ce moment, l’homme sort probablement l’une des phrases les plus importante de tout son témoignage : « Ne prenez pas ce que vous avez ici comme un acquis, il y a du sang derrière. » Je ne sais pas quel impact aura cette phrase sur nos élèves ados de la classe moyenne aisée du pays… »Il ne faut pas l’oublier. »

La mécanique génocidaire est cyclique. Ça commence par une classification, « eux » et « nous » et la fin du cycle est pire qu’un massacre, c’est le déni, on minimise les intentions, on minimise l’ampleur de la violence, on efface la mémoire de ce qui s’est passé. Et puis, ça risque de recommencer. Nous pouvons, nous devons casser le cycle génocidaire, nous avons le devoir de mémoire, nous ne pouvons pas oublier.

 [Comment l’expliquer à mes enfants ?] Je cherche un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants : pourquoi des frères et des sœurs décident de tuer leurs propres frères et leurs propres sœurs pour une idéologie, pour un dogme, pour rien d’objectif, en fait ? Je vous propose de m’accompagner dans ma réflexion afin de trouver une manière d’expliquer à mes enfants l’inexplicable.

Remarque : Un génocide, selon le « Genocide Watch » évolue en 10 étapes :

  1. La classification qui est la division des personnes entre « nous » et « eux » par des groupes en position d’autorité, selon l’origine ethnique, la race, la religion ou la nationalité.
  2. La symbolisation où l’on identifie des gens en tant que Juifs, Roms, Tutsis, etc. en les distinguant par des couleurs ou des vêtements symboliques (ou des cartes d’identité « ethniques » dans le cas du Rwanda)
  3. La discrimination lorsque le groupe dominant utilise la loi, les coutumes et le pouvoir politique afin de nier les droits d’autres groupes.
  4. La déshumanisation qui affirme par propagande la valeur moindre du groupe victime par rapport au groupe majoritaire, ils sont assimilés à des animaux, des insectes ou des maladies.
  5. L’organisation par la conception de plans de meurtres génocidaires, en général par l’État, son armée ou des milices.
  6. La polarisation, qui est l’amplification des différences entre les groupes par la propagande, l’interdiction d’interactions entre les groupes, les meurtres des membres modérés du groupe oppresseur.
  7. La préparation avec l’identification et la séparation des groupes victimes. Obligation de porter des symboles ; déportation, isolement et famine planifiée. Préparation de listes de mise à mort.
  8. Les persécutions lorsque les victimes sont identifiées et isolées en raison de leur ethnicité ou de leur identité religieuse. Au sein de l’État génocidaire, les membres des groupes discriminés vont parfois être obligés de porter des symboles les identifiant et biens et les propriétés sont souvent expropriées.
  9. L’extermination, début des massacres, perçus par les tueurs comme des actes « d’extermination » car ils croient que leurs victimes ne sont pas pleinement humaines.
  10. Le déni, la négation par les auteurs d’un génocide d’avoir commis des crimes. Le blâme est souvent rejeté sur les victimes et les preuves sont dissimulées, les témoins sont intimidés.

Sources :

Genocidewatch

Musée de l’Holocauste de Montréal

Une dernière remarque :

Ça me fait froid dans le dos de constater qu’en Europe, par exemple, le discours haineux de l’extrême droite (qui revêt une cravate et des allures tout à fait respectables quand il communique à la télé, à la radio…) arrive aisément à l’étape 4 par ses discours imagés concernant la partie de la population qui n’a pas, selon eux, assez de « racines » européennes ou à l’égard des migrants « envahisseurs », vecteurs de maladies telles que drépanocytose ou qui seraient des violeurs compulsifs. Dans certains cas, on en arrive à l’étape 5 lorsque des groupes violents s’organisent en sortes de milices « d’autodéfense » et s’en prennent directement à des personnes considérées comme « étrangères » à leur territoire. Peut-on même penser que l’on arrive à l’étape 6 si des militants anti-racistes se font menacer, tabasser, tuer ?


L’île aux chauves-souris, des roussettes paillées africaines au milieu du lac Kivu au Rwanda

Visite filmée d’une île au milieu du lac Kivu au Rwanda qui ressemble de loin au chapeau de Napoléon. Cette île est le refuge de milliers de roussettes paillées africaines, une espèce de chauve-souris quasi-menacée.

Roussettes paillées en plein vol. Eric Leeuwerck CC-BY-NC
Roussette paillée en plein vol. Eric Leeuwerck CC-BY-NC

A une heure en bateau à moteur depuis Kibuye, sur les rives du Lac Kivu au Rwanda se trouve l’île Tembabagoyi aussi connue sous le nom laissé par les colons d’île « Napoléon », pour sa forme. Mais ce n’est pas pour son aspect que je me suis rendu sur cette île en avril 2017, c’est pour sa population de grosses chauves-souris frugivores, des roussettes paillées africaines, Eidolon helvum. L’île est le refuge de plusieurs milliers d’individus de cette espèce au statut de quasi-menacée. Leur rôle est crucial pour les écosystèmes grâce à la pollinisation et la dissémination de graines d’arbres endémiques, j’en parle ici sur ce même blog.

Mais bon, assez parlé, voici la vidéo :

Les séquences de ma première visite sont complétées par les prises de vue de Bérénice Winderickx des chauves-souris sur l’île en décembre 2017.

L’agitation des roussettes sur l’île est inquiétante. Même avant notre arrivée, elles étaient déjà en l’air. Comme ce sont des bestioles nocturnes, elles sont sensées se reposer en journée or, ce n’est pas ce qui a été observé. Pourquoi elles ne se reposent pas ? J’ai quelques réponses. Même si l’île est en théorie un refuge pour Eidolon helvum, elle est régulièrement visitée par des troupeaux de vaches. Ça peut paraître étonnant, mais les vaches passent d’une île à l’autre à la nage, accompagnées par leur vacher en pirogue à côté du troupeau à l’eau. Les paysans profitent aussi de l’île pour s’approvisionner en goyaves, l’île en est bourrée (c’est pas pour rien que les chauves-souris frugivores adorent cet endroit) et en bâtons arrachés aux arbustes pour soutenir certaines de leurs cultures dans leurs champs.

Et puis, il y a les touristes qui souvent, acceptent que leur guide lance des pierres sur les arbres dans lesquels les roussettes s’abritent ou claquent des mains et sifflent pour effrayer les chauve-souris pour les voir en vol. En voici un exemple avec une vidéo tournée par des touriste sur l’île Tembabagoyi, tout le monde à l’air de se mettre à applaudir sous des « oh my god » et  « waw » :

Il n’y pas encore de véritable études d’impact de ces activités sur la population des roussettes paillées. Mais étant donné leur rôle important et leur statut, il est plus que temps de considérer cette île comme étant plus qu’un refuge à visiter téléphone à la main, mais comme un sanctuaire, une véritable réserve de biodiversité.

La semaine prochaine, je vous raconte ma première rencontre avec elles 😉


Comment l’expliquer à mes enfants ? L’image du racisme

Je cherche un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants : pourquoi des frères et des sœurs décident de tuer leurs propres frères et leurs propres sœurs pour une idéologie, pour un dogme, pour rien d’objectif, en fait ? Je vous propose de m’accompagner dans ma réflexion afin de trouver une manière d’expliquer à mes enfants l’inexplicable.

J’ai essayé, dans mon post précédent, de remonter le plus loin possible, selon moi, à l’origine de ce qui a pu être l’obsession des belges pour l’identité, leur identité, et leurs ambitions « civilisatrices »… Mais je ne sais pas dans quelle mesure ça pourrait parler à mes enfants. Je pense plutôt que je devrais commencer par un texte que j’avais publié sur ce blog en février 2015 dans lequel j’explique de quelle manière j’introduis mon cours sur le racisme à mes élèves de sixième secondaire :

Une image pour mieux comprendre le racisme

C’est pas facile de commencer un cours sur le racisme, on l’introduit par quoi ? Par un « bonjour, aujourd’hui je vais vous parler du racisme, alors, qui peut me dire ce que c’est qu’un raciste ? Hein alors ? Oui ? Toi ? Non ? Tu ne levais pas le doigt ? Non ? Tu te grattais l’aisselle gauche ? D’accord. » Ou alors, commencer par une image de « boneheads » (eh oui, on ne dit plus « skinhead » parce qu’il y a des skins militants antiracistes) égosillant leur haine les veines dilatées avec comme slogan sous l’image la phrase de Léopold Sédar Senghor : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Très cliché tout ça.

Une fois, suite à mon intro sur le racisme, je me suis farci un « oh non, on va pas encore parler du racisme, on connaît ! » Je me suis senti bête devant ces ados blasés.

Suite à tout cela, j’ai opté pour une image d’intro. La voici :

Gabon - Chasse à l'éléphant
Gabon – Chasse à l’éléphant

Ensuite, je demande d’analyser la photo : qu’est-ce qu’on voit en premier, qu’est-ce qu’il y a au premier plan, en arrière-plan, etc.

Et qu’est-ce qu’on voit en premier ? Un homme, blanc, à la moustache rigolote, sur un éléphant visiblement mort. La photo en noir et blanc est ancienne et évoque la colonisation. Une dame aussi, toute guillerette est visible à côté du monsieur blanc. En arrière plan, une sorte de masse informe d’Africains en apparence, vu la teinte de leur peau, le regard hagard, pauvrement vêtus.

Voilà voilà.

En ce qui concerne l’évocation de la photo par les élèves, eh bien, on retrouve « la colonisation », « un braconnier avec sa femme », un « chasseur d’éléphant », etc.

Pour moi, cette image évoque le racisme, ni plus ni moins. Je m’explique. Le racisme est une philosophie, une conception qui vise à classer le vivant et qui dit qu’il y a un niveau de classification au sein des espèces : la race. Homo sapiens pour notre cas, selon les théories racistes est divisée en plusieurs races qui ont chacune leurs spécificités et qui ne sont pas égales. Ils faut donc les classer selon une hiérarchie toute subjective : la pensée raciste étant d’origine européenne « blanche », ce sont les blancs qui sont au sommet de la hiérarchie raciale (voir le commentaire et mise à jour en bas de l’article à ce sujet). Les races supérieures se distinguent des autres par leur intelligence, leur capacité à contrôler la nature et ses ressources. Les races inférieures, pour la plupart encore à l’état « sauvage », sont toujours intégrantes de la nature. Le monde « sauvage » s’oppose au monde dit « civilisé ».

On retrouve tout ces concepts racistes dans cette photo qui date des années 1930, prise au Gabon dans une mission évangélique.

En voyant la photo, l’œil est tout de suite attiré par la singularité, la hauteur et la lumière de l’homme blanc. Il domine la nature, il a tué un éléphant, un symbole de puissance de la nature. La femme est légèrement en dessous du monsieur, la pensée raciste impose le patriarcat (on ne parle pas de l’Humanité mais de l’Homme). Enfin, en arrière-plan, une masse de gens presque intégrée dans le décor naturel, peau foncée, hagards, chichement vêtus, étonnés devant l’appareil photo, la technologie, la magie de l’Homme blanc.

J’insiste bien sur le fait que le racisme n’est pas une théorie scientifique. Le projet scientifique raciste a été un échec, aucun gène particulier des races n’a été mis en évidence mais surtout, les critères physiques pris en compte pour la classification des races ne sont pas significatifs pour réaliser une discrimination (le terme est super bien choisi) au niveau génétique.

T’as pas compris ? Alors, ré-écoute « l’Oeuf » de Lofofora ! Album Lofofora, 1994 (Quelle année ! J’ai perdu plusieurs années d’acuité auditive à écouter ce morceau. Je ne regrette rien. Rock.)

« (…)
Nous sommes une seule race pour plusieurs couleurs.
Nous sommes tous sortis du même moule, du même oeuf,
Du sein de notre mère la Terre,
Au Sud comme au Nord toujours rien de neuf,
Tu le sais les terriens sont les seuls habitants
(…) »

Et le clip :


Pour le clip, je ne sais pas dans quelle mesure ça pourrait passer avec mes gosses… Mais le message, une seule race pour plusieurs couleurs, il est bon, surtout sur du Lofofora ! Cependant, en ce qui concerne mes enfants, vu qu’ils ont passé toute leur jeune vie au cœur de l’Afrique, c’est évident pour eux qu’il existe une grande diversité en ce qui concerne les tonalités de bruns chez les humains et ça ne fait pas vraiment de différence à leurs yeux, entre les humains. Le défi, dans ce cas, est de leur expliquer pourquoi certains s’obstinent à vouloir classer, séparer, haïr, détruire. Je pense que cette image du racisme est un bon début…

A bientôt sur ce blog.

N’hésitez pas à partager vos impressions, ça peut toujours aider.

REMARQUE (Mise à jour du 5 mai 2019) :

Suite à la publication de ce billet et sa diffusion sur l’agrégateur d’infos News Republic (si vous voulez me suivre sur News Republic, il faut télécharger l’appli, c’est par –> ici <– ) une foule de commentaires ont été postés. Suite à ces quelques commentaires, je pense qu’une mise à jour et des explications sur le contenu de l’article sont nécessaires…

Quelle est la définition du racisme ? « Le racisme désigne communément une attitude d’hostilité, allant du mépris à la haine, à l’égard d’un groupe humain défini sur la base d’une identité raciale ou ethnique. » On peut donc faire remonter les origines du racismes à loin, très loin historiquement et évoquer l’esclavage imposé par les Égyptiens, les Grecs antiques qualifiant de « barbares » les non-grecs par exemple comme étant des actes racistes, et ils le sont, sans aucun doute : « Le phénomène se laisse assez facilement cerner dans ses manifestations idéologiques les plus explicites, liées à des contextes historiques précis (esclavagisme, essor des nationalismes, nazisme, ségrégation…). » Le racisme n’est donc pas un fait exclusivement « blanc » comme je le ferais comprendre dans mon article.

Cependant, dans mon billet, j’évoque le racisme en tant que théorie (pseudo-scientifique), c’est-à-dire la tentative d’ériger le concept de race en notion scientifique ; c’est en 1902 que le mot « racisme » est utilisé pour la première fois en France et en Angleterre pour qualifier l’idéologie et l’action de groupuscules d’extrême droite alors que la notion de race en tant que telle, pour tenter de classer les humains, apparaît beaucoup plus tôt avec des théoriciens tels qu’Emmanuel Kant par exemple (mais il y en a plein d’autres) et son ouvrage « Des différentes races humaines« , publié en 1775. Arthur de Gobineau a publié en plusieurs tomes de 1853 à 1855 son « Essai sur les inégalités des races humaines » et prône déjà la supériorité de la « race blanche » sur les autres. Un manuel d’histoire (Histoire de France, conforme aux programmes officiels du 18 janvier 1887 par C.S. Viator.) précise ceci :

« On distingue trois races humaines :

  • la race noire (descendants de Cham) peupla l’Afrique, où elle végète encore ;
  • la race jaune (descendants de Sem) se développa dans l’Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d’esprit positif, adonnés aux arts utiles, mais peu soucieux d’idéal, ont atteint une civilisation relative où ils se sont depuis longtemps immobilisés ;
  • la race blanche qu’il nous importe spécialement de connaître, a dominé et domine encore le monde. »

Ces tentatives de classification et de hiérarchisation se font en parallèle avec les développements de la systématique, la classification à visée scientifique du vivant en différents groupes initiée par le suédois Carl von Linné qui, dans sa première édition du Systema Naturae de 1735, divise H.sapiens (dénommé H. diurnus à ce moment, il sera renommé H. sapiens dans la deuxième version de Systema naturae de 1758) en cinq « variétés » ou « espèces » ; on peut de ce fait considérer Linné comme un précurseur du « racisme scientifique« .

Le réseau Canopé explique très bien la notion de « race » selon les critères biologiques : « À l’origine, le racisme a d’abord une assise biologique. Présupposant l’existence de groupes humains nommés « races », il postule que les membres de chaque « race » ont en commun un patrimoine génétique qui détermine leurs aptitudes intellectuelles et leurs qualités morales. Savants et littérateurs expliquent que ces « races » seraient hiérarchisables en fonction de la qualité de ce patrimoine, qui conférerait à certaines d’entre elles le droit, sinon le devoir, de dominer les autres. »

Lorsque, dans mon billet, je parle de « la pensée raciste étant d’origine européenne « blanche »« , je place bien sûr cette phrase dans le contexte du développement du racisme en tant que théorie pseudo-scientifique où effectivement la race « caucasienne » (avec la peau blanche) avait été déterminée comme la race supérieure en termes biologiques.

Mais cette tentative de théoriser le concept de « race » sera un échec puisque les développements modernes de la génétique ont déterminé que nous sommes une seule espèce, H. sapiens, et qu’il n’existe pas de groupes biologiques significativement différents au sein de notre espèce pour conclure à une quelconque validation du concept de « races ».

(Je me parle à moi-même hein, mais je pense que cette mise à jour pourrait faire l’objet d’un billet sur le racisme… Rendez-vous la semaine prochaine alors !)

Pour en savoir plus sur le racisme et la xénophobie, voici quelques sites et lectures recommandées :

Le Réseau Canopé et son dossier pédagogique pour éduquer contre le racisme et l’antisémitisme.

L’histoire du racisme sur Vikidia pour trouver des moyens simples d’expliquer l’origine du racisme aux plus petits.

Aux origines du racisme, un dossier de la revue Sciences Humaines.

Une interview de Toni Morrison, une militante américaine, suite à sa série de 6 conférences « L’origine des autres ».

Les identités meurtrières, la fameux livre d’Amin Maalouf.

Résistances.be, le site belge de l’observatoire de l’extrême droite.

Le site du MRAX, Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.


A Nyamata, les vêtements des morts sont entassés sur les bancs de la chapelle

[Comment l’expliquer à mes enfants ?] Pour trouver un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants, le génocide des Tutsi au Rwanda, je me replonge dans un vieux souvenir, la visite du mémorial de Nyamata en 2009.

Il faisait sec et chaud en ce mois de février 2009. Il y avait encore une gare routière au centre-ville de Kigali, au quartier San Mateus. Ça criait les destinations, ça les vendait en fait, comme si il valait mieux aller à Kibuye plutôt qu’à Butare. Moi et ma compagne, on voulait aller à Nyamata.

Arrivés à destination, on descend les pieds directement dans la latérite rouge-orange et on laisse repartir le mini-bus avec ses conversations, sa musique pas trop fort et ses toc-toc sur la carrosserie quand on arrive à destination.

On demande notre chemin :

– L’église de Nyamata ?

– Mémorial ?

– Oui…

Les bras se tendent tous dans la même direction. Avant de prendre le chemin indiqué vers la droite, il y a, sous les eucalyptus, un ensemble, de tombes couvertes de carrelage blanc pour certaines et surmontées de quelques croix.

Suivis par notre nuage de poussière, on s’arrête un moment près d’une école pour examiner les cartes géographiques et les planches anatomiques peintes sur les murs de la cour de récréation.

Ecole Nyamata
Ecole à Nyamata  ; Crédits E. Leeuwerck

Nous y avons été guidés par un panneau triangulaire posé à même le sol qui indiquait, sur fond blanc, que des silhouettes d’enfants allant par deux avec une sacoche en main pouvaient croiser la route et se rendre à l’école sans trop faire attention aux voitures.

Crédits : E. Leeuwerck. Panneau enfants Nyamata
Nyamata ; Crédits : E. Leeuwerck

Et puis, là, à quelques centaines de mètres, l’église de Nyamata. Une dame blasée, assise devant une petite table sous l’auvent de l’entrée du bâtiment, nous fait signer un cahier à couverture bleue. On tente un « muraho » (« ça va ? ») et elle nous répond par un haussement de sourcils. L’entrée, c’est une lourde grille métallique défoncée et encadrée par des impacts d’éclats de grenades. C’est comme ça qu’ils sont rentrés. A l’intérieur, ils étaient plusieurs milliers.

C’est étrange comme il semble que certains endroits puissent avoir une mémoire. Cette église de Nyamata elle, elle ne garde pas les souvenirs des cris du moment où ils sont rentrés pour tuer après les explosions des grenades, ni même le fracas de la terreur dans les yeux, ni même les cris de désespoir qui couvrent les cris de douleur de la chair lacérée, des membres coupés, des crânes fracassés, des dernières prières hurlées à une divinité sourde – peut-on l’être à ces cris ? – des cris des enfants tués sous les yeux de leurs mères, les cris des mères tuées sous les yeux de leurs enfants, les murmures assourdissants de « toi aussi tu me tues ? ».

Les vêtements tachés de sang séché sont empilés sur les bancs de la chapelle et sur l’autel, un tissu sale porte une machette rouillée.

Pendant un moment, les petites chauves-souris abritées dans les recoins du toit et des murs laissent échapper un cri strident et court, en accord avec l’appel des hirondelles au dehors. Le soleil fait parfois claquer les armatures du toit mais d’un coup, le silence. Je suis devenu comme catatonique, paralysé. Je n’arrive plus à bouger, au milieu d’une foule d’ombres silencieuses, dressées et sans visage à côté du moindre vêtement qui recouvrait ces corps comme ultime armure contre les lames et les coups. Les larmes n’arrivent pas à monter, je n’arrive pas à crier non plus.

La mémoire de Nyamata, c’est le silence de toutes ces ombres autour de nous.

La vie, instant fugace

L’éternité englue les murs

La mort est brève

Dans la crypte, des crânes. Les orbites scrutent les vivants. On pourrait leur donner un visage, des regards. Lui, il adorait raconter des blagues, pas toujours de bon goût, mais il était comme ça et aimait rire ; elle, elle prenait toujours le temps de s’asseoir à côté de son ibambura pour l’écouter crépiter et voir le soleil se coucher alors que les enfants arrivaient au compte-goutte de l’école, c’était son seul moment de sérénité de la journée ; et lui, ce qu’il préférait, c’était courir dans les bras de son papa et serrer sa tête très fort dans son cou. Sont-ils paisibles aujourd’hui ?

Mais les crânes sont fracassés. Sur la crête, à la tempe, à l’arcade sourcilière, derrière la tête, chaque recoin de tête a été un prétexte pour achever la vie.

Dehors, le ciel a un peu baissé on dirait, emporté par le soleil déclinant et forçant, comme les poussières de la piste, à teindre le monde en rouge. Une fois quelqu’un m’a dit que le jour où le génocide a commencé, le soleil est resté rouge et orange toute la journée.

Et c’est dans un nuage de poussière qu’est arrivée cette bande de touristes américains en Land Cruiser à long châssis vert clair de type « Safari » ; « it’s here ? Woaw ». Le groupe, suite à l’invite de leur guide, inscrit ses noms dans le cahier à la couverture bleue de la dame blasée qui hausse les sourcils à la vue de chaque visage sous l’auvent de l’entrée encadrée d’impacts d’éclats de grenades.

Il nous aura suffit de marcher quelques pas, ma compagne et moi, pour retourner aux bruits du quotidien, des enfants qui trainent des pieds pour soulever un nuage de poussière. Sur la route principale, on s’arrête un moment pour boire une chope de lait frais à la paille dans un boui-boui à la devanture aguicheuse, « Amata-Fanta ». On y échange quelques « Muraho, amakuru ? »

On ne reprendra pas le bus, on va retourner à Kigali à pied, escortés par une ribambelle de gosses curieux. Au loin, à un moment, on pourra distinguer une grosse colline avec une ville étalée dessus et une pancarte « Kigali, dream-center ».

La vie est là, toujours éphémère, mais la vie est là.

En revenant de Nyamata
Vers Kigali depuis Nyamata ; Crédits : E. Leeuwerck

[Comment l’expliquer à mes enfants ?]


Il y a 25 ans, la communauté musulmane du Rwanda a résisté au génocide des Tutsi

Un jour, à Kigali. Sur la route on croise Djalud qui transporte ses lapins et ses poules en pleine semaine de célébrations de Pâques sous un « Bismillah » majuscule. Avril, c’est aussi l’occasion de se souvenir que la modeste communauté musulmane au Rwanda a désobéi, elle a résisté aux ordres génocidaires du gouvernement. #comment l’expliquer à mes enfants?

Djalud livre ses bestioles à domicile si on l’appelle au +250785591225. N’hésitez pas.

Ce que Djalud fait d’extraordinaire c’est que, en pleine semaine de célébrations de Pâques, il distribue des lapins et des poules. Ce qui est plus extraordinaire encore c’est que Djalud ne se pose pas la question de savoir si c’est bien ou pas de vendre des symboles de Pâques sous un Bismillah majuscule, pour lui, pas de problème. Et pourquoi devrait-il y en avoir ? Il n’y a même pas de questions à se poser.

En le dépassant, je klaxonne un coup, lève le pouce, il me répond par un coup de sonnette et lève le pouce, tout sourire.

bismillah 1
Djalud, livre vos poules et lapins à domicile à Kigali. Bismillah ! Crédits : Eric Leeuwerck

(Bon, oui, la S.P.A. ne va peut-être pas approuver les conditions de transport…)

Pâques, au Rwanda, c’est aussi de sombres souvenirs… Il y a 25 ans, des frères et des sœurs tuaient leurs frères et leurs sœurs pour… Pour quoi ? Pour une idéologie, pour un dogme, pour une apparence physique pas très claire… C’est pour ces raisons qu’il y a 25 ans les leaders musulmans ont appelé leurs fidèles à désobéir au gouvernement, à ne pas prendre part au génocide des Tutsi mais surtout, à résister : alors que les massacres ensanglantaient le pays des milles collines, la modeste communauté musulmane au Rwanda a accueilli, caché et sauvé des Tutsi au risque de leurs propres vies.

J’aimerais tellement que ce soient ces actes-là qui fassent la une des journaux.

Les vrais héros sont silencieux. Il faudra que je le dise à mes enfants ; et je leur dirai aussi qu’on peut résister.


La Belgique, origine d’un génocide [Comment l’expliquer à mes enfants ?]

Je cherche un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants : pourquoi des frères et des sœurs décident de tuer leurs propres frères et leurs propres sœurs pour une idéologie, pour un dogme, pour rien d’objectif, en fait ? Je vous propose de m’accompagner dans ma réflexion afin de trouver une manière d’expliquer à mes enfants l’inexplicable.

Dans mon cheminement réflexif pour trouver les moyens d’expliquer à mes enfants le génocide des Tutsi au Rwanda, pays où l’on réside depuis plus de 10 ans, je me fixais la fois précédente comme repère pour un « début » la construction des identités meurtrières, c’est-à-dire, ce qui définirait, subjectivement, pourquoi l’autre n’est pas moi, pourquoi s’obséder à trouver nos différences et à vouloir les éliminer. Ce sont les belges qui ont propagé l’idée des identités ethniques et qui les ont associées à des raisons biologiques au Rwanda. Mais pourquoi les belges ?

Le texte qui suit, je l’avais publié sur ce blog en juillet 2014 après m’être rendu compte qu’Ambiorix, considéré comme le type même de « l’ancien belge », l’ancêtre de notre petite nation, était le leader et le seul survivant en sursis d’un massacre perpétré par les romains et qui avait emporté tout son peuple… Alors je ne sais pas, mais un peuple, une nation comme la Belgique, qui s’est obstinée en son temps (révolu, heureusement) à classer les races, les ethnies, définit son identité ancestrale à partir d’un peuple éliminé par les centuries romaines ? La notion de nation sur une base biologique commune en devient plus qu’absurde. Lisez plutôt :

Génocide réussi et démagogie

Chronique d’un génocide réussi

Ce qui s’est passé dans la région de Tongres aux alentours de 50 AC est qualifié de génocide par certains historiens et archéologues. Quelques années auparavant, les éburons menés par Ambiorix se révoltent contre les occupants romains et massacrent des troupes romaines. La vengeance de César sera terrible.

Tout ce petit monde de terribles gaulois ne sera pas tué de suite puisque de la main d’œuvre est nécessaire pour exploiter les ressources que les romains sont venus chercher : de l’or principalement. Les éburons survivants de la colère de César suite au massacres des troupes romaines et qui seront capables de tenir un glaive auront leur main droite coupée. Les derniers massacres auront lieu en 51 AC, après que les éburons aient appris à jouer du glaive de la main gauche et auront massacré, pour la deuxième fois des troupes romaines. Après 50 AC, plus un seul éburon ne foulera la surface de la terre mis à part Ambiorix, en fuite probablement dans la forêt. Le génocide est réussi.

Ambiorix
Statue d’Ambiorix à Tongres. Crédit : ArtMedia (WikiCommons)

La région était tellement dépeuplée suite à ces massacres que l’empereur Auguste, trente ans plus tard, a du faire appel à des tribus germaniques pour repeupler la région dévastée. Parmi eux, les Tongres, qui donneront leur nom à la plus ancienne ville de Belgique1.

Démagogie

Faire le lien entre les mains coupées des éburons et celles des « travailleurs » congolais dans les exploitations de caoutchouc sous le règne de Léopold II2, le roi bâtisseur, est très démagogique, mais la tentation est trop forte. Cependant, en terme de démagogie, il y en a certains qui sont passés maîtres dans la pratique. C’est le cas de Louis Michel par exemple, député européen qui a déclaré que Léopold II était « un héros avec de l’ambition pour un petit pays comme la Belgique ». Il parle aussi de « l’arrivée de la civilisation » au Congo grâce au monarque belge. Et pour répondre à l’affirmation que la Belgique s’était enrichie grâce l’exploitation du Congo, Louis Michel, ancien ministre des affaires étrangères n’hésite pas à répondre que « c’est de la démagogie pure. Léopold II ne mérite pas de tels reproches. Les Belges ont construit le chemin de fer, des écoles et des hôpitaux et mis en marche la croissance économique. Un camp de travail ? Certainement pas. En ces temps-là, c’était simplement la façon de faire. » 3 4

Carl de Keyzer, un photographe flamand, est retourné au Congo avec un guide touristique de 1958. Il est retourné sur les hauts-lieux touristiques de l’époque pour les comparer sur pellicule avec les descriptions de son guide. Les seuls bâtiments encore en état de l’époque coloniale sont les prisons5

À l’arrivée des colons belges, la région de l’actuel Congo a connu sa plus grande migration massive, des villages entiers étaient désertés pour ne pas servir de main d’œuvre forcée dans les exploitations de caoutchouc ou dans les gisements d’ivoire6. Le narrateur de Au coeur des ténèbres 7 8 de J. Conrad est resté atterré devant ces africains attachés, fers au cou à un arbre alors qu’il venait de débarquer au Congo. A la fin de sa quête, après la remontée du fleuve que l’on suppose être le Congo, on se retrouve face à la folie de Kurtz, un agent chargé de fournir le pouvoir colonial en ivoire devenu complètement fou et dont la parcelle est entourée de pieux surmontés de têtes humaines. Le critère de l’entreprise étant la rentabilité et le saccage rapide des ressources, peu importe qui était envoyé au Congo. « Kurtz était un excellent agent », un capitaliste zélé, en fait. Conrad a bel et bien voyagé au Congo, à bord du « Roi des belges », sa nouvelle s’inspire de ses voyages et des récits de Stanley lors de son expédition pour retrouver l’aventurier Oscar Schnitzer9.

Et pour en revenir à Ambiorix, il est tout aussi démagogique de l’avoir déclaré héros belge, chef d’un peuple disparu, immortalisé avec sa moustache et ses cheveux roux au vent, ses yeux clairs (dans les manuels scolaires), son torse musclé, ses tablettes de chocolat et son casque « Astrérix ». Est-ce que cette image de « père fondateur » définit vraiment l’identité belge ? Ambiorix était-il francophone ou néerlandophone ? Il est étonnant que dans le contexte démagogue belge actuel, aucun historien ne se soit encore posé la question…

1 https://bcs.fltr.ucl.ac.be/FE/14/villa/texte1.htm

2 https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_ind%C3%A9pendant_du_Congo#Les_mains_coup.C3.A9es

3 https://www.lesoir.be/actualite/belgique/2010-06-22/congo-louis-michel-prend-la-defense-de-leopold-ii-777638.php

4 https://euobserver.com/9/30345

5 https://afriqueinvisu.org/congo-belge-carl-de-keyzer,190.html

6 « Negrologie : pourquoi l’Afrique meurt », Stephen Smith, Ed. Mille et une nuits, 2005

7 Ce livre inspirera même le film « apocalypse now » de F.F Copolla. A la fin du film, il est possible, paraît-il de voir un exemplaire du livre de Konrad sur la table de nuit de Kurtz.

8 « Heart of darkness », J. Conrad, Wordworth Editions

9 https://fr.wikipedia.org/wiki/Emin_Pasha


Je peux difficilement remonter plus moins… Mais est-ce que ce serait un bon point de départ pour expliquer un génocide à mes enfants ? J’en doute… Je me demande si je ne commencerais pas par essayer de comprendre, par une image, ce qu’est le racisme. Ce sera la prochaine étape sur ce blog. A bientôt.

N’hésitez pas à partager vos impressions, ça peut toujours aider.


Comment l’expliquer à mes enfants ? Les identités meurtrières

Je cherche un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants : pourquoi des frères et des sœurs décident de tuer leurs propres frères et leurs propres sœurs pour une idéologie, pour un dogme, pour rien d’objectif, en fait ? Je vous propose de m’accompagner dans ma réflexion afin de trouver une manière d’expliquer à mes enfants l’inexplicable.

Imigongo
Imigongo. Crédits E. Leeuwerck

J’avais commencé ma réflexion, la fois passée, par le début, le 7 avril à Kanombe ou en tous les cas, ce que je croyais être le début… Mais le 7 avril 1994 à Kanombe, ce n’est pas le début. L’exécution du génocide c’est la fin, l’aboutissement d’une construction ou plutôt, d’une déconstruction de l’identité qui a commencé avec l’arrivée des colons et de leur vision du monde. C’est en relisant ce texte, que j’avais publié sur ce blog le 8 avril 2014, que je m’en suis rendu compte :

Rwanda, l’origine des identités meurtrières

Il n’y a pas d’ethnie au Rwanda : tous les rwandais parlent le Kiniarwanda, mangent l’isombe avec des haricots. Pourtant, il y a 20 ans, des rwandais décident d’éliminer d’autres rwandais sur base de leur appartenance ethnique, une grande contradiction et absurdité de l’Histoire. Comment se sont construites ces identités meurtrières ?

En Belgique, oui, on a un problème ethnique. De par les langues différentes, nos vecteurs culturels ne sont pas les mêmes. Donc oui, on peut parler d’ethnies mais sur base culturelle. Les ethnies biologiques n’existent pas, en tous les cas naturellement, tout comme les races. Par contre, on peut les créer artificiellement, en sélectionnant un ensemble de caractères au cours d’une succession de générations, des caractères subjectifs principalement physiques et représentatifs de moins de 0,01% du patrimoine génétique total d’un individu – absurde, non ? – comme la couleur du poil, forme de la gueule, taille au garrot. Là, on parle de race canine, on s’en doute. Mais peut-on ou a-t-on fait de même avec des êtres humains ? Oui. Les belges l’ont fait – étant moi-même belge et vivant au Rwanda, je me permets de cracher dans ma soupe.

Charles Darwin est l’un des scientifiques que j’admire le plus. Pour sa théorie de l’évolution (au même titre que Wallace, mais Darwin encore plus) mais surtout pour sa publication « la filiation de l’Homme » où il avance que la « sociabilité et l’empathie ont été sélectionnés pour la réussite évolutive de l’Humain ». Mais la notion de race a un poids et un intérêt politico-économique trop important pour les sociétés occidentales, le « Darwinisme social » une chimère pseudo-scientifique – jamais cautionnée par Darwin lui-même – créée au 19ème siècle sur la base des théories de l’évolution toutes fraîches devient un moteur idéologique des colonisations : la survie des plus « aptes » au sein même des sociétés humaines.

En 1916, en pleine guerre mondiale, les belges chassent les allemands du Rwanda et occupent tout le territoire du « Rwanda-Urundi ». En 1919 le traité de Versailles attribue officiellement le Rwanda à la Belgique. Le Rwanda va rester sous tutelle belge jusqu’en 1961.

L’Eglise catholique sera présente dès les premiers moments de la colonisation tout comme les ethnologues belges arrivés avec les colons qui définiront, sur base d’études biométriques sur des milliers d’habitants locaux – similaires à celles que les nazis effectueront quelques années plus tard – trois types ethniques : les Pygmé ou Twa, les Hutu et les Tutsi. La première vague de père blancs, francophones, qui débarque au Rwanda aux prémices de la colonie est désireuse de faire correspondre la répartition des peuples tels que décrits dans la bible à ce qu’ils voient sur place, ils assimilent les titres honorifiques et l’organisation sociale des sujets du Mwami – Roi avant la colonie – à des différences de races ou ethnies2  3 4. Dans l’organisation traditionnelle de la société, un aristocrate était nommé « Tutsi ». Pouvait également être Tutsi une personne possédant un certain nombre de vaches. Les pères blancs figent alors cette organisation sociale au moment de leur arrivée en hiérarchie raciale. Les Tutsi seront qualifiés de « caucasiens négroïdes » descendants des hamites, les fils de Cham, selon la table des peuples de l’Ancien testament. Cham, Chem ou encore Kem est le fils de Noé qui, pour avoir vu son père nu et ivre, sera maudit, coloré en noir et dont la descendance devra servir les descendants de ses frères, c’est à dire, les autres peuples5. Le moteur idéologique de la colonisation et de l’esclavage en quelque sorte. Les Hutu quant à eux seront considérés comme négroïdes de race bantoue. Cette classification raciale rencontre quelques contradictions puisque par exemple, au sein d’une même famille, une personne nommée comme Tutsi grâce à son cheptel pourra avoir un frère Hutu, sans vaches6.

La division du travail se basera évidemment sur ces critères d’apparence raciale. Les Hutu seront associés à une activité d’agriculture et les Tusti aux traits « occidentalisés » seront chargés des tâches politico-administratives. Une fois cette division de la société imposée et les critères raciaux hiérarchiques assimilés chez les colonisés, l’hérédité des privilèges est mise en place pour figer le système pour les générations à venir : lors d’un mariage mixte, les enfants seront automatiquement Hutu, et donc, perdent les privilèges qui reviennent aux Tutsi. En 1931, la carte d’identité ethnique sera instaurée, elle perdurera jusqu’en 1994.

Le dessein de l’Eglise catholique était de reconstituer, sur le territoire du Rwanda, en marge de tout ce qui pouvait se passer dans le monde, l’idéal catholique médiéval : une aristocratie locale, des serfs et l’Eglise au milieu du village. Le pouvoir colonial et l’Eglise travaillant main dans la main, cette structure sociale se mit rapidement en place et perdurera pendant des décennies. De plus, l’efficacité des missionnaires pour s’intégrer dans des territoires reculés était telle que l’Eglise catholique était le partenaire incontournable de l’administration coloniale pour la gestion des communautés. Avec ce système de différenciation racialo-sociale sous le couvert pseudo-scientifique du Darwinisme social, les classes sociales étaient scellées et hermétiques, véritable fascisme africain en action.

2La notion de race n’existant pas, j’utilise le terme comme il était utilisé à cette époque.

3 Jean-Pierre Chrétien, Marcel Kabada, Rwanda, racisme et génocide, l’idéologie hamitique, Belin (2013), ch.I

4« Le sabre, la machette et le goupillon, des apparitions de Fatima au génocide Rwandais », Leon Saur, Ed. Autre Regard, 2004

5Genèse 9

6« Le sabre, la machette et le goupillon, des apparitions de Fatima au génocide Rwandais », Leon Saur, Ed. Autre Regard, 2004


Quelques remarques par rapport à ce texte…

Le texte est très dur, je sais… Il a été écrit il y a 5 ans et je ne pense pas que je l’écrirais de la même manière si je devais traiter le sujet à nouveau. Pourquoi est-ce que je ne l’ai pas réécrit pour l’occasion ? Parce qu’il reflète la colère ; il est émotionnel et je voulais faire ressentir l’émotion de la prise de conscience de l’absurdité des massacres qui ont eu lieu au Rwanda. Cependant – attention hein ! – je reste factuel et je précise, bien évidemment, mes sources.

En ce qui concerne les sources, le bouquin de Léon Saur « Le sabre, la machette et le goupillon », offert par un ami le jour avant notre départ, ma compagne et moi, pour le Rwanda a été, lors de sa lecture et sa relecture, autant de coups et de révélations sur ce dont l’Humain est capable pour assouvir son ambition, son désir irrépressible de dominer ses semblables et de se focaliser sur les différences au sein de notre espèce.

Le titre du texte « Les identités meurtrières » est bien évidemment inspiré du livre d’Amin Maalouf qui porte le même titre et où l’on questionne la notion de l’identité et les conflits que cette notion peut engendrer.

En ce qui concerne la couleur de Cham, un commentaire avait été fait suite à la première publication de mon texte :

Juste un détail: ne faites pas dire à la bible ce qu’elle ne dit pas : Cham, fils de Noé, a bien été maudit, mais la bible ne dit absolument rien sur sa couleur.

J’ai répondu que :

« Quand Noé se réveilla, il le maudit et dit : ‘Sois maudit Cham et puisses-tu être l’esclave de tes frères’ et il devint un esclave, lui et sa lignée, nommée Égyptiens, Abyssiniens et Indiens. Cham perdit tout sens de la décence et il devint noir et fut appelé impudique le reste de ses jours et pour toujours. »

Ce n’est pas directement extrait de la Bible, c’est vrai, mais d’un apocryphe syriaque chrétien du 5 ou 6ème siècle « la caverne des trésors » ou « livre de la descendance des tribus »… Apocryphe, certes, mais le lien entre couleur noire et esclavage y est très explicite !

Source : La caverne des trésors : version Géorgienne, éd. Ciala Kourcikidzé, trans. Jean-Pierre Mahé, Corpus scriptorium Christianorum orientalium 526-27, Scriptores Iberici 23-24 (Louvain, 1992-93), ch. 21, 38-39

La suite…

Le chemin est encore long pour avoir les idées claires… Et pour expliquer l’inexplicable à mes gosses… On peut trouver des raisons historiques, des ambitions, des envies de pouvoir pour expliquer des massacres mais ça, ça parle aux adultes. C’est triste d’être adulte en fait : on arrive à comprendre pourquoi, dans un contexte politico-sociolo-culturelo-(…) des massacres peuvent être commis.

Mais les enfants, eux, ça ne leur dit rien, ça reste incompréhensible.

N’hésitez pas à partager vos impressions, ça peut toujours aider.