Comment expliquer à mes enfants qu’il y a des racistes en Belgique ?
Le 16 décembre 2018, la peste brune était de retour en Belgique avec 5500 militants d’extrême-droite qui crachaient leur haine à Bruxelles. Ça m’a fait flipper et je me suis demandé : comment vais-je expliquer à mes gosses qu’il y a des racistes en Belgique ?
Quand je dis « raciste », je parle évidemment de ces 5500 énergumènes qui se sont réunis le 16 décembre 2018 à Bruxelles pour éructer leur haine à coup de « notre peuple d’abord » en se pavanant en dessous de leur bannière au lion, un animal qui n’a jamais été observé à l’état sauvage sur le territoire de ce qu’on appelle aujourd’hui la Belgique.
Mais pas seulement
Je veux aussi parler de ces racistes qui n’en sont pas, de ceux qui disent « je ne suis pas raciste mais (…) », ces personnes respectables qui préfèrent parler de la pluie plutôt que de se taire parce que c’est tellement plus convenable.
Vous voyez, mes enfants n’ont pas la gueule du petit belge stéréotypé « tête blonde » et « peau sujette aux coups de soleil faciles », mais ils sont belges. Leur maman qui est aussi ma femme (terme approprié selon la culture patriarcale) est Belge aussi mais d’origine latino-américaine et pour ne rien arranger, nous vivons depuis une décennie en Afrique. Mes enfants ont toujours connu l’Afrique et ils ont de la Belgique une idée aussi vague qu’idéalisée. Ils ne font pas de calculs trop compliqués au sujet de l’origine des gens. Par exemple, Stromae, héro incontestable pour ma famille et mon fils en particulier qui a eu la chance de le voir en concert, est Belge et Rwandais ; pour mes enfants, ce n’est pas que l’artiste est 50% de l’un et 50% de l’autre, non, il est Belge et Rwandais, les deux en même temps, c’est tout. Cependant, pour avoir vécu plus de la moitié de ma vie en Belgique, je sais que le Belge moyen n’a pas toujours ce point de vue pragmatique et je vais développer ça par quelques exemples.

Venons-en aux exemples de racisme ordinaire
Quand mes grands-parents osaient sortir de leur patelin wallon pour venir nous rendre visite à Bruxelles, ma grand-mère à peine débarquée de son train était la première à oser, devant tous les gens différents que l’on voyait à Bruxelles un « mais enfin ces quoi tous ces bougnoules, on n’est même plus chez nous, c’est incroyable ». La génération de mes grands-parents, je la retrouvais réunie lors des enterrements de mes grands-oncles et grands-tantes et ils étaient une sacrée ribambelle. Lors de ces joyeuses réunions familiales, les vétérans avaient pour habitude de s’invectiver une fois l’amertume de la perte assumée. Les deux côtés linguistiques de la familles s’affrontaient à coup de « franskilloen », terme péjoratif à l’encontre des francophones et de « flamingands » rageurs contre les néerlandophones et cela, sous le regard sévère d’un portrait de l’Oncle Alphonse haut perché sur un mur, héro familial, parti comme père blanc au Congo. Quand j’ai présenté à cette joyeuse famille ma femme, une grand-tante s’est approchée d’elle et a touché ses cheveux noirs en lui demandant « ce sont vraiment tes cheveux ? » Dans ce cas, je ne sais pas si on doit véritablement parler de racisme ou plutôt de quête d’exotisme, les deux étant quand même un peu liés. J’avais en tous les cas prévenu ma femme que ma famille était un peu bizarre mais je ne m’attendais pas à cette sorte de scène de film. Un oncle a tenté de nous rassurer avec ces mots : « ah bah, heureusement que ça n’est pas une arabe ». Je tiens à saluer au passage ma femme et son courage pour ne pas avoir pris ses jambes à son cou suite à cette rencontre avec mes aïeux.
J’ai aussi été étonné de constater que quelques Belges d’origine turque n’aimaient pas certains Belges d’origine maghrébine et vis-versa, que certains Belges d’origine maghrébine traitaient de « hazé » avec un sous-entendu esclavagisant ce qu’on nomme communément un « noir » en Belgique. Ça finissait souvent en bagarre. Un jour, un certain Bilal avait lancé l’insulte de « hazé » et il n’avait pas l’air gêné par le fait que son propre nom célèbre Bilal ibn Rabah le premier muezzin musulman, et qui de plus était « noir ».
Et des exemples, j’en ai encore à la pelle. Mais je voudrais terminer sur celui-là : une après-midi pluvieuse, une famille d’origine africaine s’est faite expulser de sa maison dans ma rue : meubles, enfants, tout et tout le monde étaient sous la pluie. J’étais gamin et on regardait lâchement ce malheureux spectacle derrière les rideaux et là j’entends « haha ! Les nègres sont dehors ». Je demande à mon oncle pourquoi il dit ça et il me répond « mais c’est pour rire hein ! ». D’accord, lui non-plus n’est pas raciste.
Bien évidemment, je ne veux pas prétendre que tous les belges sont racistes, loin de là. Il y a des groupes de réflexion et des militants actifs contre le racisme et la xénophobie cependant, je tenais à mettre le doigt sur certains d’entre nous et nos petites réflexions, ces attitudes qui sous couvert d’humour, de normalité sont racistes sans être qualifiées en tant que telles.
Finalement, c’est quoi le racisme ?
Eh bien oui, il fallait bien poser la question à un moment. C’est évidemment cette idée que les races humaines ne sont pas égales, que certaines sont supérieures et que d’autres sont inférieures. Mais personne n’est arrivé à définir précisément quelles sont ces races au sein de l’humanité (sauf si tu fais partie des 5500 énergumènes de la manif du 16 décembre et qui tu préférerais, pour préserver la pureté de ton sang, vivre avec tes cousins et tes cousines dans une grotte, comme le lion des cavernes européen qui lui, a effectivement déambulé sur le territoire de l’actuelle Belgique mais au Pléistocène). Pourquoi est-ce qu’on n’arrive pas à cerner les races ? Tout simplement parce qu’il n’y en a pas. Toute l’absurdité de la classification de l’humanité sur base de blancs et de noirs se résume dans les propos de ma fille : « papa, si un noir a des enfants avec une blanche, ça donne des enfants gris », rire d’enfant. Du haut de son innocence, ma fille démonte par l’absurde plusieurs siècles de pseudo-science raciste : le gris chez les humains ça n’existe pas et donc, le noir et le blanc non-plus.
Je ne sais pas comment je pourrais expliquer à mes enfants ce qu’est le racisme et comment leur dire de surcroît qu’ils vont croiser la route de racistes en Belgique. Ils vont apprendre à reconnaître ces petites nuances de langage, à ne pas se laisser dévaloriser par des attitudes mesquines et à savoir s’entourer des bonnes personnes. Le racisme aujourd’hui, c’est probablement ne pas assumer ce qu’on est et d’en rejeter la faute sur les autres, ceux qui sont différents ; c’est avant tout de la haine ordinaire.
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