Comment l’expliquer à mes enfants ? L’image du racisme

Article : Comment l’expliquer à mes enfants ? L’image du racisme
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2 mai 2019

Comment l’expliquer à mes enfants ? L’image du racisme

Je cherche un moyen d’expliquer l’inexplicable à mes enfants : pourquoi des frères et des sœurs décident de tuer leurs propres frères et leurs propres sœurs pour une idéologie, pour un dogme, pour rien d’objectif, en fait ? Je vous propose de m’accompagner dans ma réflexion afin de trouver une manière d’expliquer à mes enfants l’inexplicable.

J’ai essayé, dans mon post précédent, de remonter le plus loin possible, selon moi, à l’origine de ce qui a pu être l’obsession des belges pour l’identité, leur identité, et leurs ambitions « civilisatrices »… Mais je ne sais pas dans quelle mesure ça pourrait parler à mes enfants. Je pense plutôt que je devrais commencer par un texte que j’avais publié sur ce blog en février 2015 dans lequel j’explique de quelle manière j’introduis mon cours sur le racisme à mes élèves de sixième secondaire :

Une image pour mieux comprendre le racisme

C’est pas facile de commencer un cours sur le racisme, on l’introduit par quoi ? Par un « bonjour, aujourd’hui je vais vous parler du racisme, alors, qui peut me dire ce que c’est qu’un raciste ? Hein alors ? Oui ? Toi ? Non ? Tu ne levais pas le doigt ? Non ? Tu te grattais l’aisselle gauche ? D’accord. » Ou alors, commencer par une image de « boneheads » (eh oui, on ne dit plus « skinhead » parce qu’il y a des skins militants antiracistes) égosillant leur haine les veines dilatées avec comme slogan sous l’image la phrase de Léopold Sédar Senghor : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Très cliché tout ça.

Une fois, suite à mon intro sur le racisme, je me suis farci un « oh non, on va pas encore parler du racisme, on connaît ! » Je me suis senti bête devant ces ados blasés.

Suite à tout cela, j’ai opté pour une image d’intro. La voici :

Gabon - Chasse à l'éléphant
Gabon – Chasse à l’éléphant

Ensuite, je demande d’analyser la photo : qu’est-ce qu’on voit en premier, qu’est-ce qu’il y a au premier plan, en arrière-plan, etc.

Et qu’est-ce qu’on voit en premier ? Un homme, blanc, à la moustache rigolote, sur un éléphant visiblement mort. La photo en noir et blanc est ancienne et évoque la colonisation. Une dame aussi, toute guillerette est visible à côté du monsieur blanc. En arrière plan, une sorte de masse informe d’Africains en apparence, vu la teinte de leur peau, le regard hagard, pauvrement vêtus.

Voilà voilà.

En ce qui concerne l’évocation de la photo par les élèves, eh bien, on retrouve « la colonisation », « un braconnier avec sa femme », un « chasseur d’éléphant », etc.

Pour moi, cette image évoque le racisme, ni plus ni moins. Je m’explique. Le racisme est une philosophie, une conception qui vise à classer le vivant et qui dit qu’il y a un niveau de classification au sein des espèces : la race. Homo sapiens pour notre cas, selon les théories racistes est divisée en plusieurs races qui ont chacune leurs spécificités et qui ne sont pas égales. Ils faut donc les classer selon une hiérarchie toute subjective : la pensée raciste étant d’origine européenne « blanche », ce sont les blancs qui sont au sommet de la hiérarchie raciale (voir le commentaire et mise à jour en bas de l’article à ce sujet). Les races supérieures se distinguent des autres par leur intelligence, leur capacité à contrôler la nature et ses ressources. Les races inférieures, pour la plupart encore à l’état « sauvage », sont toujours intégrantes de la nature. Le monde « sauvage » s’oppose au monde dit « civilisé ».

On retrouve tout ces concepts racistes dans cette photo qui date des années 1930, prise au Gabon dans une mission évangélique.

En voyant la photo, l’œil est tout de suite attiré par la singularité, la hauteur et la lumière de l’homme blanc. Il domine la nature, il a tué un éléphant, un symbole de puissance de la nature. La femme est légèrement en dessous du monsieur, la pensée raciste impose le patriarcat (on ne parle pas de l’Humanité mais de l’Homme). Enfin, en arrière-plan, une masse de gens presque intégrée dans le décor naturel, peau foncée, hagards, chichement vêtus, étonnés devant l’appareil photo, la technologie, la magie de l’Homme blanc.

J’insiste bien sur le fait que le racisme n’est pas une théorie scientifique. Le projet scientifique raciste a été un échec, aucun gène particulier des races n’a été mis en évidence mais surtout, les critères physiques pris en compte pour la classification des races ne sont pas significatifs pour réaliser une discrimination (le terme est super bien choisi) au niveau génétique.

T’as pas compris ? Alors, ré-écoute « l’Oeuf » de Lofofora ! Album Lofofora, 1994 (Quelle année ! J’ai perdu plusieurs années d’acuité auditive à écouter ce morceau. Je ne regrette rien. Rock.)

« (…)
Nous sommes une seule race pour plusieurs couleurs.
Nous sommes tous sortis du même moule, du même oeuf,
Du sein de notre mère la Terre,
Au Sud comme au Nord toujours rien de neuf,
Tu le sais les terriens sont les seuls habitants
(…) »

Et le clip :


Pour le clip, je ne sais pas dans quelle mesure ça pourrait passer avec mes gosses… Mais le message, une seule race pour plusieurs couleurs, il est bon, surtout sur du Lofofora ! Cependant, en ce qui concerne mes enfants, vu qu’ils ont passé toute leur jeune vie au cœur de l’Afrique, c’est évident pour eux qu’il existe une grande diversité en ce qui concerne les tonalités de bruns chez les humains et ça ne fait pas vraiment de différence à leurs yeux, entre les humains. Le défi, dans ce cas, est de leur expliquer pourquoi certains s’obstinent à vouloir classer, séparer, haïr, détruire. Je pense que cette image du racisme est un bon début…

A bientôt sur ce blog.

N’hésitez pas à partager vos impressions, ça peut toujours aider.

REMARQUE (Mise à jour du 5 mai 2019) :

Suite à la publication de ce billet et sa diffusion sur l’agrégateur d’infos News Republic (si vous voulez me suivre sur News Republic, il faut télécharger l’appli, c’est par –> ici <– ) une foule de commentaires ont été postés. Suite à ces quelques commentaires, je pense qu’une mise à jour et des explications sur le contenu de l’article sont nécessaires…

Quelle est la définition du racisme ? « Le racisme désigne communément une attitude d’hostilité, allant du mépris à la haine, à l’égard d’un groupe humain défini sur la base d’une identité raciale ou ethnique. » On peut donc faire remonter les origines du racismes à loin, très loin historiquement et évoquer l’esclavage imposé par les Égyptiens, les Grecs antiques qualifiant de « barbares » les non-grecs par exemple comme étant des actes racistes, et ils le sont, sans aucun doute : « Le phénomène se laisse assez facilement cerner dans ses manifestations idéologiques les plus explicites, liées à des contextes historiques précis (esclavagisme, essor des nationalismes, nazisme, ségrégation…). » Le racisme n’est donc pas un fait exclusivement « blanc » comme je le ferais comprendre dans mon article.

Cependant, dans mon billet, j’évoque le racisme en tant que théorie (pseudo-scientifique), c’est-à-dire la tentative d’ériger le concept de race en notion scientifique ; c’est en 1902 que le mot « racisme » est utilisé pour la première fois en France et en Angleterre pour qualifier l’idéologie et l’action de groupuscules d’extrême droite alors que la notion de race en tant que telle, pour tenter de classer les humains, apparaît beaucoup plus tôt avec des théoriciens tels qu’Emmanuel Kant par exemple (mais il y en a plein d’autres) et son ouvrage « Des différentes races humaines« , publié en 1775. Arthur de Gobineau a publié en plusieurs tomes de 1853 à 1855 son « Essai sur les inégalités des races humaines » et prône déjà la supériorité de la « race blanche » sur les autres. Un manuel d’histoire (Histoire de France, conforme aux programmes officiels du 18 janvier 1887 par C.S. Viator.) précise ceci :

« On distingue trois races humaines :

  • la race noire (descendants de Cham) peupla l’Afrique, où elle végète encore ;
  • la race jaune (descendants de Sem) se développa dans l’Asie orientale, et les Chinois, ses plus nombreux représentants, gens d’esprit positif, adonnés aux arts utiles, mais peu soucieux d’idéal, ont atteint une civilisation relative où ils se sont depuis longtemps immobilisés ;
  • la race blanche qu’il nous importe spécialement de connaître, a dominé et domine encore le monde. »

Ces tentatives de classification et de hiérarchisation se font en parallèle avec les développements de la systématique, la classification à visée scientifique du vivant en différents groupes initiée par le suédois Carl von Linné qui, dans sa première édition du Systema Naturae de 1735, divise H.sapiens (dénommé H. diurnus à ce moment, il sera renommé H. sapiens dans la deuxième version de Systema naturae de 1758) en cinq « variétés » ou « espèces » ; on peut de ce fait considérer Linné comme un précurseur du « racisme scientifique« .

Le réseau Canopé explique très bien la notion de « race » selon les critères biologiques : « À l’origine, le racisme a d’abord une assise biologique. Présupposant l’existence de groupes humains nommés « races », il postule que les membres de chaque « race » ont en commun un patrimoine génétique qui détermine leurs aptitudes intellectuelles et leurs qualités morales. Savants et littérateurs expliquent que ces « races » seraient hiérarchisables en fonction de la qualité de ce patrimoine, qui conférerait à certaines d’entre elles le droit, sinon le devoir, de dominer les autres. »

Lorsque, dans mon billet, je parle de « la pensée raciste étant d’origine européenne « blanche »« , je place bien sûr cette phrase dans le contexte du développement du racisme en tant que théorie pseudo-scientifique où effectivement la race « caucasienne » (avec la peau blanche) avait été déterminée comme la race supérieure en termes biologiques.

Mais cette tentative de théoriser le concept de « race » sera un échec puisque les développements modernes de la génétique ont déterminé que nous sommes une seule espèce, H. sapiens, et qu’il n’existe pas de groupes biologiques significativement différents au sein de notre espèce pour conclure à une quelconque validation du concept de « races ».

(Je me parle à moi-même hein, mais je pense que cette mise à jour pourrait faire l’objet d’un billet sur le racisme… Rendez-vous la semaine prochaine alors !)

Pour en savoir plus sur le racisme et la xénophobie, voici quelques sites et lectures recommandées :

Le Réseau Canopé et son dossier pédagogique pour éduquer contre le racisme et l’antisémitisme.

L’histoire du racisme sur Vikidia pour trouver des moyens simples d’expliquer l’origine du racisme aux plus petits.

Aux origines du racisme, un dossier de la revue Sciences Humaines.

Une interview de Toni Morrison, une militante américaine, suite à sa série de 6 conférences « L’origine des autres ».

Les identités meurtrières, la fameux livre d’Amin Maalouf.

Résistances.be, le site belge de l’observatoire de l’extrême droite.

Le site du MRAX, Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

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