La « choupitude », une arme de manipulation massive

Article : La « choupitude », une arme de manipulation massive
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24 mai 2020

La « choupitude », une arme de manipulation massive

Comment changer l’image négative des chauves-souris dans la presse ? A l’aide de grands moyens : la science et la choupitude.

Les chauves-souris ont une très, très mauvaise image dans la presse : d’aspect répugnant, nocturnes et mystérieuses, elles sont en plus le réservoir de maladies hyper-dangereuses capables de stopper le monde entier, bouuuuh ! Haro sur les chauve-souris ! Euh, un instant, je vais relire le début de mon paragraphe… « (…) très mauvaise image dans la presse« … Hum. Image :

Une chauve-souris de la sous-famille des Desmodontinae, communément connues comme les « chauves-souris vampires » Source : http://ugly-animals.blogspot.com/

Vous pensez trouver cette image répugnante et vous vous dites, que c’est pour des raisons subjectives : je trouve ça moche et c’est tout, les goût et les couleurs ça ne se discute pas. Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas, notre cerveau est bel et bien conditionné à trouver un animal « mignon », ou pas. J’en ai pour preuve que je sais que la majorité d’entre vous vont trouver la vidéo à la suite hyper-mignonne et même ressentir une sensation irrésistiblement agréable :

Moi, en tous les cas, je craque 😍 (Merci Clint pour le partage 😊)

Si vous avez effectivement craqué à la vue de cette chauve-souris, alors je vous annonce que votre cerveau vient d’être piraté. Oui, rien que ça. Je vous explique : l’être humain réagit de manière innée à trouver « mignon » tout ce qui ressemble à un bébé. Dans notre cerveau, le noyau accubens s’active en libérant de la dopamine, un neurotransmetteur qui engendre une sensation de plaisir, à la vue de ce que l’on juge « trop mimi » ou encore « 😍 » et ce, sans que l’on puisse le contrôler. Konrad Lorenz, un scientifique et éthologue autrichien (primé d’un Prix Nobel de médecine ou physiologie) a étudié la question et a même créé un mot pour définir l’ensemble des critères du « mimi », le « Kindchenschema » :

A gauche, les têtes dont les proportions donnent l’impression du « mignon ».
Source : http://www.ac-grenoble.fr

En plus du « Kindchenschema« , la vidéo de la chauve-souris présentée plus haut, chatouillée à l’envi, fait intervenir un autre phénomène, celui qui, selon les étude de Harry Harlow, nous pousserait nous, primates à chercher un contact doux et agréables et à trouver irrésistible une fourrure d’aspect doux et soyeux ; une conséquence de l’évolution du concept de « toilettage social« .

Maintenant que les bases théoriques sont posées, passons à la pratique et caressons-nous le noyau accubens avec des chauves-souris

Même si nous n’avons pas tous conscience de ces phénomènes qui nous conditionnent à juger de ce qui est mignon ou de ce qui ne l’est pas, la plupart des médias, surtout dans le contexte actuel, choisissent la position que les chauves-souris ne sont pas mignonnes… De plus, ça ne collerait pas avec l’actu, imaginez un peu « les chauves-souris sont des réservoirs de plein de maladies dégeu, mais sinon, ça va, les chauve-souris sont mignonnes« . (Ah ? Et le pangolin alors ? Oui, le pangolin a des écailles… Alors pour le côté « fluffy », c’est raté pour lui).

Pour changer l’image à diffuser des chauves-souris j’ai fait appel à mon élève de biologie de troisième secondaire, Jill Mai, dont j’ai pu découvrir les talents de dessinatrice lors des activités en ligne de ce confinement. Je lui ai alors demandé de dessiner des chauves-souris « en insistant bien sur leur regard curieux et vif, leur « choupitude » quoi ! » J’ai aussi insisté sur le fait que « le dessin a pour objectif de manipuler l’opinion des gens (rire machiavélique) au sujet des ces magnifiques mammifères volants. » Jill Mai n’a pas hésité un moment, je l’en remercie 😁, et nous voici prêts à diffuser la nouvelle image médiatique de ces chauves-souris, horriblement mignonnes, en utilisant les préceptes du « Kindchenschema » de Konrad Lorenz lui-même ; « Une tête relativement importante, un crâne disproportionné, de grands yeux situés bien au-dessous, le devant des joues fortement bombé, des membres épais et courts, une consistance ferme et élastique et des gestes gauches sont des caractères distinctifs essentiels du « mignon » et du « joli » que présentent, d’après les lois du phénomène de sommation des excitations, un petit enfant ou un « leurre » comme une poupée ou un animal en peluche. » Oui, un « leurre » ! Alors, prêts à vous faire pirater le cerveau ? C’est parti :

Même un vampire peut être "choupi" Crédits : Jill Mai Peeraer
Même un vampire peut être « choupi » Crédits : Jill Mai Peeraer
Irrésistible cette "choupitude" ! Crédits : Jill Mai Peeraer
Moooooooh ! Irrésistible cette « choupitude » ! Crédits : Jill Mai Peeraer
Et ce petit côté insolent, enfantin ? Trop "choupi" !! Crédits : Jill Mai Peeraer
Et ce petit côté taquin ? Trop « choupi » !! Crédits : Jill Mai Peeraer

La sensibilisation au sort des espèces semble tenir à peu de choses : leur image. A défaut d’avoir un bon impresario pour travailler son image auprès du public, la chauve-souris et son destin dans la biodiversité ne pourront compter que sur deux choses : notre sens de la « choupitude » mais surtout, notre esprit critique.

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Commentaires

Anthony
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C'est très intéressant mais j'y vois une limite. On a beau avoir un imaginaire de petit cochon mignon, on ne fait plus le lien avec le cochon de notre saucisson.
Parfois rendre mignon une espèce rend invisible finalement la véritable espèce.
Qu'en pensez vous ?

Lagrenouille
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Bonjour,
Merci pour le commentaire. Tout à fait d'accord avec toi, ce concept est limité puisque basé sur la diffusion d'une image, superficielle, à des fins de manipulation et donc démago .

la salamandre syndicale
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Salut Sproutch, transformer la chauve-souris dans le regard du grand public en "espèce Walt Disney" (sympathique et touchante) peut ne pas résoudre leur problème sur le long terme si on en vient à tenter de la capturer pour la "domestiquer" pour sa "choupitude".
Or de nombreuses "espèce Walt Disney" ont connu du braconnage pour satisfaire les envies de peluches de certains amateurs d'originalité. De plus l'analyse des autres "espèces Walt Disney" africaine démontre que le capital sympathie n'assure pas leur survie (gorille, chimpanzé, éléphant,...)

Je crains que seule la prise de conscience de la quantité de fric que va nous faire perdre la disparition de cette espèce clé de voute peut faire réagir les quelques personnes en mesure de lui apporter la protection adéquate.

Bref, je trouve géniale l'idée d'impliquer des jeunes dans la recherche de stratégie de "choupitude". Cependant l'espèce humaine est désespérante: j'ai plus confiance dans la recherche de d’attribuer une « valeur » marchande aux processus naturels.

Lagrenouille
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Salut l'amphibien
Tout à fait d'accord avec ton analyse... Je réagis juste à une guerre de l'image et je ne me cache pas non-plus que c'est de la manipulation en réponse aux formats simplificateurs des médias... Je n'ai malheureusement aucun espoir que le grand public lise massivement des travaux de recherche sur ces bestioles mais si une image moins rebutante permettrait à certains de s'y intéresser plus, c'est déjà ça de gagné...
Prends soin de toi !

L.Suarez
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Bonjour,
Serait-il possible d'avoir le contact de Jill Mai Peeraer, car je souhaiterais utiliser également son image. Je vous remercie par avance

Lagrenouille
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Bonjour,
Je vous mets en contact avec elle dans le courant de la journée.
Bien à vous !