Lagrenouille

Comment je suis devenu prof de sciences : épisode 6

Débuter comme prof de sciences dans le secondaire, c’est du rock, avec un peu plus de claques que dans un pogo

De retour à Bruxelles, je devais trouver un boulot, et vite ! Le portefeuille était très léger. Etant bioingénieur, le côté « ingénieur » permettait de rapidement décrocher des jobs dans le privé : banque et des trucs comme ça. Mais c’est pas pour moi. Alors, quand on m’a proposé de remplacer une prof de sciences en congé de maternité à l’Institut De Mot-Couvreur à Bruxelles, une école technique et professionnelle, j’ai pas hésité. Rock’n’roll. Ça me laisserait un peu de marge pour chercher un autre job.

Je débarque légèrement en retard pour ma première journée de travail. Un seul rang reste dans la cour, accompagné de madame la directrice Mme Tasiaux qui me lâche un mémorable « bon je vous les laisse, bonne chance. ». Ah ? Et effectivement, de sacrés castards cette classe de 3sciencesB ! Un élève en bout de rang se donne la peine de se déplacer pour se poster devant moi, scanne mon vieux pantalon, veste en cuir, cheveux peu coiffés. Il crie « c’est une histoire de ouf ! », tout le reste du groupe éclate de rire. Je leur demande de se rendre dans leur local mais, ne connaissant pas cet immense établissement du vieux Bruxelles, les élèves en profitent pour me faire visiter l’école pendant l’heure de cours. Je dois avouer que depuis que je suis prof, j’ai connu mes premières vraies migraines. Cependant, alors que beaucoup de personnes seraient parties en courant après une telle mésaventure, j’ai décidé de m’accrocher, je ne voulais pas rester sur un échec, même si, au départ, l’enseignement était alimentaire et temporaire. Mais les formidables collègues de DeMot – je ne pourrai pas tous les citer – et la bienveillance discrète de Mme Barzin – préfète des études et ancienne prof de bio – qui en vu défiler plein d’autres ne sont pas du genre à me laisser seul dans un coin ! Ça donne pas mal de courage. Je me rappelle d’Atman Kourcha, prof de techno, méditant devant sa tasse de café dans la salle des profs « moi, je suis un barbouze de l’enseignement, on me donne une mission, je la fais ». Et on se donnait des airs de mercenaires avant de retourner en salle de cours, yeah.

Deux ans après ma première journée épique dans l’enseignement – oui, j’ai survécu – je commence à me sentir à l’aise avec mes élèves mais surtout, j’inscris une classe à l’expo-science, concours scientifique organisé chaque année par les jeunesses scientifiques de Belgique. Mes élèves présentent une expérience qui modélise le réchauffement climatique, un truc tout simple mais efficace : deux aquariums identiques et fermés hermétiquement avec une ampoule de même puissance à l’intérieur. Un des deux aquariums, à différence du deuxième, a une atmosphère chargée en dioxyde de carbone. Un thermomètre montre que la température est plus élevée dans une atmosphère chargée en CO2 ! Quelques panneaux, 2-3 vidéos, de bonnes explications, des élèves sympas et bang ! On remporte le prix du public ! On nous redemandera même de remettre le couvert pour les cinquante ans des Jeunesses scientifiques devant le prince – à l’époque – Philippe et le ministre de la Recherche scientifique. La grande classe.

Avec le Prince et Monsieur le Ministre

Après cette aventure avec mes élèves aux jeunesses scientifiques, j’ai en quelque sorte senti que j’avais le feu sacré. Alors voilà, je m’inscris pour passer l’agrégation en chimie-bio. Je vais encore faire la rencontre de sacrés numéros !

Mais ça, c’est pour le prochain épisode.

Remarque : cette série de billets est publiée dans le cadre du projet « blogue ta science » de l’Agence Science Presse, « il s’agit d’un projet de promotion des carrières scientifiques auprès des adolescents, par la lorgnette de l’humain : les passions, les rêves et le cheminement professionnel à travers ses obstacles et ses aspirations« , comme l’explique très bien Isabelle Burgun, coordinatrice aux blogues – ah ben ouais, à Québec, « blog » ça se dit « blogue » – à l’Agence Science Presse.


Comment je suis devenu prof de sciences épisode 5 : « On the road »

Après cinq ans d’études de bioingénieur arrive le moment de faire mon travail de fin d’études. Ce sera l’occasion de réaliser un vieux rêve : aller en Amérique latine.

Le temps était venu de laisser derrière mois les auditoires bondés, les profs et les cours qui m’ont marqué tels que Heinz Hurwitz et sa vision du monde au travers de la chimie, qui faisait vider les auditoires pour qu’on aille rejoindre les ouvriers de Clabecq en grève ; l’ «Evolution» de Michel Milinkovitch grâce à qui j’ai une fois pour toutes renoncé à croire en Dieu ; les cours hilarants de parasitologie ; les délires d’obsessionnel compulsif d’un entomologiste comme Deligne qui volait dans les collections de ses étudiants avant de s’enfermer dans son labo pour ne pas entendre nos réclamations ; la géomorphologie qui finalement est très cool, et j’en oublie tellement. J’ai passé de belles années sur le campus de l’Université libre de Bruxelles.

Je décroche une bourse au Fonds Lefranc pour financer une partie de mon travail de fin d’études. Une fois l’administratif réglé et les vaccins injectés, je pars. Yeah ! La première ville dans laquelle je débarque est Lima, une ville de fous, j’adore les villes de fous. Je dois rejoindre l’Altipano bolivien pour y réaliser un stage dans une exploitation de cultures vivrières sous serre. Je repars ensuite en bus pour la Colombie, direction Tumaco afin de travailler sur l’exploitation du palmier à huile mais comme la ville a entre-temps été prise par les Forces armées révolutionnaires de Colombie, je change de plans pour me rendre à Cali pour un projet de ferti-irrigation dans la vallée du Cauca.

Je reviens en Belgique pour soutenir mon mémoire le 12 septembre 2011 et je dois avouer que le jour d’avant, je n’ai pas trop préparé ma défense, collé devant Euronews à me demander si les tours de Manhattan explosées par des avions de ligne étaient une mauvaise blague ou pas…
Finalement, tout se passe bien pour moi et je suis « bioingénieur » ; on disait encore « ingénieur agronome » à l’époque. Officiellement admis dans la communauté scientifique.

Une fois que j’ai mis assez d’argent de côté en travaillant avec un copain dans une entreprise de création et entretien de jardins, je repars vite en Amérique latine, sac au dos. D’abord pour un vague projet de construction de ponts et baignoires pour lamas en Bolivie et ensuite pour fabriquer du yaourt et des fromages frais, monter un labo pédagogique de microbiologie, aider à une recherche en Amazonie sur l’agriculture chez les Guarayos, me marier, effectuer une consultance en géologie pour un journal local…

Mais en 2003, la situation est très explosive en Bolivie. Des révoltes contre le gouvernement de l’époque et sa politique d’exploitation des ressources naturelles mènent à la fuite du président bolivien. La situation est à la crise et mes ressources s’amenuisent… Un retour – temporaire – en Belgique s’impose.

La suite au prochain numéro ! (c’est là où je deviens prof de sciences pour de vrai !!!)

Remarque : cette série de billets est publiée dans le cadre du projet « blogue ta science » de l’Agence Science Presse, « il s’agit d’un projet de promotion des carrières scientifiques auprès des adolescents, par la lorgnette de l’humain : les passions, les rêves et le cheminement professionnel à travers ses obstacles et ses aspirations« , comme l’explique très bien Isabelle Burgun, coordinatrice aux blogues – ah ben ouais, à Québec, « blog » ça se dit « blogue » – à l’Agence Science Presse.


Comment je suis devenu prof de sciences : épisode 4

Des études universitaires se réussissent avec de la passion, de la motivation et la solidarité des étudiants.

Ah, l’Unif. Je suis sûr que beaucoup d’autres personnes le diront mais mon passage dans cette université correspond aux plus belles années de ma vie : stimulation sociale, intellectuelle, bref, la vie. Je me suis inscrit en Ingénieur Agronome, soit, pour être moderne. Bio Ingénieur, orientation tropicale.

A l’Université Libre de Bruxelles, c’est une école inter-facultaire de bio-ingénieur, à cheval entre polytechnique et la faculté des sciences. On y apprend aussi bien de la bio pure et dure que des techniques de labo de chimie, de la physique, des stats, des techniques de construction, de la mécanique, comptabilité… J’étais sûr qu’avec un tel diplôme en poche, je pourrais me débrouiller dans n’importe quelle situation.

Blouses, chimie et rencontre inoubliable

C’est aussi la première fois que je fais des labos de chimie ! Et ça a été une révélation ! Ah, le fantasme des blouses blanches.

J’avais cependant toujours des problèmes en physique. J’ai donc été aux séances de « remédiation » organisées par des étudiants en dernière année de physique. Et c’est là que j’ai rencontré Xavier Bekaert. Il m’a bien aidé ce satané physicien. Mais voilà que le soir de notre première rencontre sauvetage pré-examinatoire de physique, est organisée la prise d’un squat dans un quartier populaire de Bruxelles. En rentrant dans une pièce obscure du vieux bâtiment laissé en pâture à la spéculation, je distingue, dans un vieux fauteuil, uns silhouette familière : ce satané physicien ! Et moi qui pensait que les physiciens ne sortaient pas de leur bureau ! C’est depuis ce moment qu’est née une grande amitié, teintée de militantisme et de science. Même si je dois avouer que je ne comprends toujours pas quel était exactement le sujet de sa thèse de doctorat… Elle devait être plutôt réussie, puisque Xavier est aujourd’hui Docteur en physique maintenant. Satané physicien !

Remarque : cette série de billets est publiée dans le cadre du projet « blogue ta science » de l’Agence Science Presse, « un projet de promotion des carrières scientifiques auprès des adolescents, par la lorgnette de l’humain : les passions, les rêves et le cheminement professionnel à travers ses obstacles et ses aspirations« , comme l’explique très bien Isabelle Burgun, coordinatrice aux blogues – ah ben ouais, à Québec, « blog » ça se dit « blogue » – à l’Agence Science Presse.

Retrouvez ici les épisodes 1, 2 et 3 de cette saga


Le système digestif revisité

C’est la saison des corrections des examens, et donc de la récolte des perles ! Une moisson particulièrement abondante pour l’examen de bio des troisièmes secondaires avec leurs schémas du système digestif…

On commence par le pingouin mutant, avec un système respiratoire directement relié au système digestif… On doit être face au fameux pingouin de la blague, celui qui respire par l’anus et qui meurt étouffé :

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Dans la rubrique « accidents », voici la version « passé sous le train » :

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Et deux « accidents de la route » :

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Il y a aussi les « questions de style« , avec tout d’abord le Moustachu :

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La Grunge :

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Le Punk :

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Monsieur Muscu :

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Et puis, il y a aussi la « maladie congénitale » :

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Et les « trucs du genre », avec la Version simplifiée :

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Le Gastéropode :

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« J’suis un fou, j’mélange tout ! »

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Voilà… Bon, c’est pas tout ça, je retourne à mes corrections.

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Comment je suis devenu prof de sciences Episode 3 : rock’n’roll

Arrivé en fin de secondaire, je savais ce que je voulais : faire de la science et voyager.

J’ai toujours adoré la bio mais je ne me voyais pas chercheur. Venant d’une famille de fermiers, je considérais plutôt la biologie sous le côté appliqué mais sans vouloir devenir agriculteur. Alors, j’ai décidé de m’orienter vers des études de bioingénieur, des « sciences naturelles appliquées », à l’Université Libre de Bruxelles.

Mais l’école secondaire, s’interposa encore une fois entre moi et les sciences, incarnée par le directeur de l’établissement où j’avais terminé avec « satisfaction » ma rétho. Derrière ses lunettes rondes, ses cheveux éternellement collés sur le devant du crâne et son gilet rouge, il me dit sans émotion que « vu mes résultats en sciences, il me déconseillait vivement, lui et l’équipe de professeurs, d’envisager des études universitaires scientifiques ». Alors, j’ai été me mettre dans un coin, pour réfléchir.

On avait eu une année spéciale, pleine de grèves dans l’enseignement pour s’opposer aux nouvelles réformes qui finalement sont passées et ont profondément modelé l’enseignement en Belgique. J’étais descendu dans la rue, entièrement d’accord avec les revendications des enseignants et des étudiants.

C’est aussi cette année là que j’ai commencé à écouter Rage against the Machine, Noir Désir, Bérurier Noir et Lofofora. Toute une formation politique en soi !

Mais voilà qu’au final, j’ai eu trois mois de cours sur toute l’année scolaire. Pour le reste, on a du se débrouiller pour étudier. Et avec tout ça, les profs se donnaient le droit de restreindre mon futur ? J’étais révolté.

Et c’est à ce moment qu’arrive la prof de… bio ! Elle me demande si ça va, je lui réponds que ça va, mais uniquement par politesse. Elle continue en me disant que « ce qui compte, ce n’est pas l’avis des profs mais ce qu’on avait dans les tripes. Si tu veux faire des sciences, vas-y, fais-le et si tu as la hargne, tu réussiras ». Rock’n’roll.

Douze mois plus tard, je repasse dans mon ancienne école secondaire. Le regard de quelques-uns de mes anciens profs que je croise est condescendant « alors, c’est dur l’unif, n’est-ce pas ? ». Je réponds que « oui, mais pas impossible.». Rock’n’roll.

Suite au prochain épisode !

 

Remarque : cette série de billets est publiée dans le cadre du projet « blogue ta science » de l’Agence Science Presse, « il s’agit d’un projet de promotion des carrières scientifiques auprès des adolescents, par la lorgnette de l’humain : les passions, les rêves et le cheminement professionnel à travers ses obstacles et ses aspirations« , comme l’explique très bien Isabelle Burgun, coordinatrice aux blogues – ah ben ouais, à Québec, « blog » ça se dit « blogue » – à l’Agence Science Presse.


Comment je suis devenu prof de sciences, épisode 2: les profs sympas

La science est belle hors de l’école!

Bien sûr, je n’ai pas rencontré que des profs traumatisants ! Il y avait aussi les «sympas», qui laissent un petit sourire dans les souvenirs et ceux qui ont carrément marqué un tournant dans la vie, même à retardement.

Je pense encore souvent à M. Geerinck, prof de bio. Rien que ça, ça veut tout dire ! Il était à fond dans son truc. Il avait dans son local un aquarium d’eau croupie. Une légende racontait qu’il élevait, à des fin de recherche, des tiques sur ses jambes qu’il avait poilues, sous son éternelle blouse de labo, sale, évidemment. Et il parlait aux arbres. Mais surtout, il m’a fait découvrir deux choses importantes: le monde microscopique et une clef de détermination des arbres.

Avec le microscope j’ai vu qu’il y avait tout un monde dans l’aquarium d’eau croupie de M. Geerinck! J’ai été fasciné par toutes ces bestioles qui se poursuivaient affairées autour d’une colonie de bactéries ou qui se cachaient dans une forêt d’algues.

En puis, la clef de détermination d’espèces ligneuses de Belgique: j’avais dans les mains quelques feuilles rédigées par des scientifiques que je savais utiliser! La classe. Mais surtout, en enfourchant mon vélo pour aller observer les arbres, les plantes, les insectes et plein d’autres trucs, ce que je faisais depuis que je roule en vélo, je me suis rendu compte que je faisais déjà de la science depuis tout petit. Mais pas la science de l’école. C’est à ce moment que j’ai pris une décision importante: plus tard, je continuerai à faire de la science comme ça!

Cependant, mes résultats à l’école allaient pousser mes profs à tenter de me dissuader d’entreprendre des études universitaires scientifiques. Les profs peuvent se tromper.

La suite au prochain épisode!

 

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Comment je suis devenu prof de sciences, épisode 1 : les mauvais profs

C’est pas vraiment à l’école que ma vocation de prof est née. Et j’adore mon boulot de prof de sciences. Comment expliquer cette belle contradiction ? Grâce aux hasards de la vie, de la passion et du rock’n’roll.

On m’a toujours fait comprendre à l’école que je ne cadrais pas avec le profil du scientifique. La conseillère d’orientation du secondaire me voyait une « carrière d’artiste », non pas pour mes résultats en dessin – la prof jetait mes dessins à la poubelle. Mais plutôt par défaut de bons résultats en sciences. C’est facile de taper sur le système scolaire… mais voici quand même le palmarès des pires profs de science que j’ai croisés en secondaire.

Madame Van E, prof de physique alcoolique. Elle cachait sa petite bouteille d’alcool dans son sac banane et faisait des crises d’angoisse quand il faisait noir. Alors, on passait son temps à la faire stresser.

Monsieur B, prof de physique qui ne préparait pas ses cours et qui passait son temps à nous raconter des trucs étranges.

Madame P, vieille. Ce n’est pas grave en soi d’être vieux, mais c’est le genre de bonne femme qui est née vieille. Vous voyez le genre ? Arrivée sur le tard dans l’enseignement, sa béquille et sa mèche de cheveux blancs nous faisaient dire qu’elle avait été chef des Gremlins ou qu’elle avait travaillé dans une centrale nucléaire. Sa phrase fétiche était « tu n’as pas compris ? Mais il faut être bête pour ne pas comprendre ! »

Oui, à l’école, je me sentais bête. Mais il n’y a pas que l’école dans la vie.

Et ça, c’est pour le prochain épisode.

Remarque : cette série de billets est publiée dans le cadre du projet « blogue ta science » de l’Agence Science presse, « il s’agit d’un projet de promotion des carrières scientifiques auprès des adolescents, par la lorgnette de l’humain : les passions, les rêves et le cheminement professionnel à travers ses obstacles et ses aspirations« , comme l’explique très bien Isabelle Burgun, coordinatrice aux blogues – ah ben ouais, à Québec, « blog » ça se dit « blogue » – à l’Agence Science Presse.


Einstein était un réfugié

Qui voyez-vous sur la photo ? Un réfugié. Albert Einstein a fui le régime nazi. Il avait de plus en plus de difficulté à exercer ses fonctions à l’Académie prussienne des sciences, malgré son prix Nobel de physique décerné en 1921. En 1931, il s’exile aux États-Unis.

Il était passionné de math et de musique durant sa jeunesse. Loin d’être un bon élève, un de ses professeurs lui dit même « vous n’arriverez à rien ». Maja, sœur d’Albert Einstein, raconte qu’il présentait de telles difficultés dans ses premières années avec le langage que sa famille doutait qu’il puisse parler un jour.

Malgré cela, il désire quand même étudier le génie mécanique en études supérieures. Il échouera une première fois à l’examen d’admission de l’Ecole polytechnique de Zurich. Il réussira cependant à s’inscrire dans une autre école plus tard mais n’atteindra pas l’excellence à laquelle on se serait attendu de la part d’un personnage de son envergure ! Plusieurs biographes soupçonnent même que ce génie du 21e siècle aurait été atteint de troubles de l’apprentissage comme la dyslexie ou même la dyscalculie, au vu de ses fréquentes erreurs de calcul et des sueurs provoquées chez Einstein par les tables de multiplication.

Einstein se dégotera finalement un petit boulot sans envergure comme expert technique au Bureau des brevets de Berne. Débuts professionnels décrits par Einstein comme « comiques » et « catastrophiques » par d’autres. De quoi subsister lui et sa famille. Pendant ses heures libres, il travaille à sa passion, la physique.

Jusque-là, Einstein est un monsieur tout le monde.

Mais ses efforts paieront, en dehors de tout cercle académique classique, il travaille toujours à la maison sur sa physique et publiera en 1905 trois articles majeurs de la théorie de la relativité ! Ce sera alors, enfin, le début de sa carrière universitaire.

En 1921, lors de son premier voyage aux Etats-Unis, Albert est interrogé sur ses connaissances scientifiques de base. À la question :  » Quelle est la vitesse du son ? « , il répond : « Je ne sais pas. Je n’encombre pas ma mémoire avec des faits que je peux retrouver dans une encyclopédie ». Seul un prix Nobel peut se permettre ce genre de réponse.

Que se serait-il passé pour Einstein et sa famille s’ils avaient dû s’exiler avant 1921 ? Mieux vaut ne pas y penser puisque c’est en 1931, dix ans après sa reconnaissance mondiale avec son prix Nobel de physique qu’Einstein prend la route de l’exil, pour la même raison que des milliers de personnes aujourd’hui. Oui, c’est pour la même raison qu’Albert Einstein a décidé de s’exiler et que des milliers de migrants risquent leur vie sur des embarcations de misère en Méditerranée : fuir la déshumanisation. C’est la déshumanisation qui pousse des milliers de personnes à fuir leur maison. Ne plus être humain, c’est ne pas pouvoir assurer sa survie, être menacé de mort par un régime autoritaire pour lequel notre opinion politique, religieuse mérite une condamnation, c’est être étouffé par un gouvernement rapace qui se met tout dans les poches, c’est avoir une gueule qui ne revient pas aux autorités, ce sont des changements climatiques qui dévastent notre environnement, c’est une économie internationale qui spécule sur les matières premières et vide nos poches, ce sont des armes qui éclipsent l’Humanité.

Albert Einstein et sa femme ont œuvré sans répit pour les réfugiés juifs allemands et se sont impliqués personnellement pour plusieurs d’entre eux. A cette époque, Einstein écrit « je me sens  privilégié de vivre à Princeton, mais dans cette cité universitaire, nous n’entendons pas les voix chaotiques du peuple en lutte. J’ai honte de vivre dans ce luxe alors que les autres souffrent et luttent pour leur survie. » L’Initiative académique allemande Albert Einstein pour les réfugiés octroie des bourses d’études à quelque 2 000 réfugiés de par le monde.

La dignité, c’est ne pas se laisser mourir. Les milliers de personnes qui mettent leur vie en péril pour tenter de rejoindre des terres plus sûres sont en lutte. Soutenons-les.

« Einstein était un réfugié », c’est aussi un court-métrage traitant de l’immigration.


Expat, un immigré pas comme les autres

Dans un dictionnaire, émigré et expatrié sont synonymes. Mais dans la réalité, ces deux mots sous-entendent tout autre chose : un statut différent. L’expatrié n’est pas un immigré comme les autres.

La première fois que j’ai voulu balancer une pierre sur un flic, c’était en 1998, après la mort de Semira Adamu. Elle était née en 1978, comme moi et alors que j’étais étudiant, Semira était assassinée par des gendarmes, en pleine lutte désespérée pour une vie digne. Devant le centre fermé de Vottem à Liège en Belgique, juste après son assassinat, les flics et chevaux de frise se tenaient face aux manifestants. Il ne nous restait que la rage pour exprimer notre impuissance. Salauds.

Je repense souvent à Semira. Les ex-gendarmes, qui ont été acquittés en 2003, n’ont rien à se reprocher, ils faisaient leur boulot comme les fonctionnaires nazis qui géraient les cargaisons d’êtres humains vers les camps de concentration, les tortionnaires qui prétendaient obéir à des ordres dans les geôles de Pinochet ou encore comme les Interahamwés convaincus, machette à la main, qu’ils menaient un combat juste contre les forces du mal. Les ex-gendarmes assassins auraient-ils agi de la même manière s’ils avaient été témoins comme Ahmadou Kourouma, avant d’écrire Allah n’est pas obligé (Seuil, 2000), de la vie d’un petit Birahima, enfant soldat de 12 ans errant à travers la Sierra Leone et le Liberia en pleine guerre civile ? Auraient-ils pu s’opposer à l’injonction de « calmer » Semira s’ils savaient à quoi elle tentait d’échapper ? Est-ce qu’ils auraient pu renoncer à l’ordre d’expulsion s’ils avaient parcouru le chemin d’un migrant africain en sens inverse, comme ce marin personnage principal du livre Eldorado, de Laurent Gaudé (Actes Sud, 2006), qui décide de tout laisser pour entreprendre un voyage sans retour vers ce qui fait décider des milliers de personnes à quitter les leurs ?

Pas de justice pour Semira. Elle s’était enfuie du Nigeria parce que l’on tentait de lui faire épouser de force un sexagénaire dont elle aurait été la quatrième femme. (…) Le 25 mars 1998, avec l’aide d’amis, elle arrive en Belgique. L’accès au territoire lui est aussitôt refusé. Tout ce qu’elle a connu de la Belgique se limite à l’aéroport et à un centre fermé pour « étrangers illégaux », le 127 bis de Steenokkerzeel.
Elle sera assassinée le 22 septembre 1998 lors de sa sixième tentative d’expulsion. Les 5 policiers chargés de son expulsion avaient jugé bon, en application de la procédure en vigueur, de maintenir un coussin sur son visage, l’empêchant de respirer. Ce sera la cause de son décès. En 2003, quatre des cinq policiers seront condamnés à des peines de prison de quelques mois avec sursis.

Définitions (toutes issues du Larousse compact 2005)

Maintenant que je suis expatrié en Afrique, ces questions me reviennent souvent en tête. Mais je me demande aussi pourquoi on m’appelle « expatrié » et pas « immigré », et pourquoi, dans mon Schaerbeek natal, les familles d’origine étrangères sont qualifiées d’immigrées et surtout, pourquoi est-ce qu’on ne dira jamais que Semira Adamu avait tenté de « s’expatrier » ?

Immigré / émigré et expatrié n’ont pas la même connotation. En consultant le Larousse, guide des stéréotypes occidentaux, on peut lire « expatrié,e qui a quitté son pays (SYN émigré, exilé, expulsé) ». En ce qui concerne « émigré », c’est une « personne qui a émigré (…) REM : quand on émigre de son pays, on immigre dans un autre ». Et quand on va voir à « immigré, e », on peut lire « qui a immigré : la population immigrée. L’intégration des immigrés. » Voilà une première différence : « s’intégrer, s’assimiler entièrement à un groupe ». On aimerait que les immigrés s’intègrent, qu’ils renoncent à leur culture pour adopter celle de leur nouveau pays, mais on ne demande pas la même chose aux expatriés. Il n’y a pas de clause « intégration » dans un contrat d’expatrié.

En consultant « expatrier », on lit que c’est « obliger quelqu’un à quitter son pays (SYN. exiler, expulser, contr. rapatrier) ». Est-ce qu’« expulser » est vraiment un synonyme de rapatrier ? « Expulser : chasser qqn avec violence ou par une décision de l’autorité du lieu où il était établi : ils ont expulsé le contradicteur. (SYN exclure, renvoyer) ». Et quant à une « expulsion, action d’expulser quelqu’un d’un lieu où il était établi », le verdict tombe avec l’exemple utilisé dans la définition du Larousse : « L’expulsion des sans-papiers (= reconduire jusqu’à la frontière) ».

Un (e) expatrié (e) qui retourne au pays est un(e) « Rapatrié, e, personne ramenée dans son pays d’origine par les soins des autorités officielles : Les rapatriés sont à bord de l’avion sanitaire. » Si l’avion est un charter, on parlera d’un « expulsé, e : se dit d’une personne chassée d’un lieu, d’un groupe, d’un pays ». À « rapatriement », on peut lire que c’est une « action de rapatriement : cette assurance s’occupe du rapatriement des blessés », ce qui laisse à penser que les personnes qui subissent l’expulsion n’ont pas souscrit à la même assurance que les expatriés.

Logiquement, que l’on immigre ou que l’on s’expatrie, on effectue une « migration, déplacement de populations d’un pays dans un autre pour s’y établir », on réalise l’action de « migrer, effectuer une migration : les saumons migrent. » Et si l’exemple des saumons n’est pas assez éloquent, celui de « émigrant, e, personne qui émigre » est plus illustratif : « Des émigrants ont été recueillis par un cargo ». Quant aux expatriés, ils ne sont pas recueillis par des cargos, car ils prennent l’avion.

Quand on décide de rester, on décide d’ « immigrer, venir se fixer dans un pays étranger au sien » comme les « nombreux Maghrébins qui ont immigré en France. »
Et si ces fameux « Maghrébins », sont sur le territoire belge depuis par exemple trois générations, est-ce qu’on peut encore parler de population « allogène » – comme aiment à dire certains politiciens – qui « se dit d’une population récemment arrivée dans un pays (par opp à autochtone, indigène) ». Le Belge est alors, dans son pays, un « autochtone, qui est originaire du pays qu’il habite : les populations autochtones (SYN indigène). » Mais à quoi peut ressembler un indigène dans le dictionnaire des stéréotypes ? « indigène 1. qui est né dans le pays où il habite (…) 3. Originaire d’un pays d’outre-mer avant la décolonisation ». Un Congolais né en Belgique est donc un indigène belge. Pour rappel, le temps béni des colonies, c’est fini. Et puis, c’est quoi un Belge ? C’est le résultat d’une multitude d’« immigrations, arrivées dans un pays d’étranger venus s’installer et y travailler ; ensemble des immigrés ». Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés. Sauf si nous sommes des enfants d’expatriés.

Toute la misère du monde

En parlant de mouvements migratoires, je ne peux m’empêcher de penser aux hordes de vacanciers qui partent à l’assaut de destinations au climat plus clément que nos zones tempérées. Cela m’évoque le premier numéro de Potlatch, revue de l’Internationale lettriste de l’été 1954 – qui deviendra ensuite l’Internationale situationniste – qui contient cette phrase : « Club med-vacances bon marché dans la misère des autres ». Les bruits de bottes au début de « Holidays in the sun » des Sex pistols font penser à la même chose. Ces départs en vacances massifs vers les pays du tiers-monde ont cette connotation animalière des flux migratoires, et c’est la seule fois où l’Occidental sera une sorte de migrant(e), un(e) « migrateur, trice, qui se dit d’un animal qui effectue des migrations : ce groupe d’oiseaux migrateurs s’envole vers l’Afrique. »

En plein contexte de répression après le coup d’Etat contre Arbenz organisé par la CIA, l’Internationale lettriste écrivait « après l’Espagne où la Grèce, le Guatemala se range parmi les contrées qui attirent un certain tourisme, nous souhaitons de faire un jour ce voyage ». Combien de touristes ont-ils senti la dictature en Tunisie ou en Egypte avant les révolutions ? Les migrants vacanciers s’en foutent, et tentent de réaliser, grâce aux « vacances, une sorte de boucle de l’aliénation et de la domination, un symbole des fausses promesses de la vie moderne » – Potlatch n°3, 6 juillet 1954.

Et la misère du monde viendrait-elle envahir nos contrées occidentales ? En 2010, près de 20 % des émigrés d’Afrique subsaharienne sont des médecins avec, pour destination, les pays dits riches ; la Jordanie est le pays qui a accueilli le plus de réfugiés (2, 5 millions) alors que 100 % de la population migrante de Gaza et Cisjordanie sont des réfugiés.

Toujours en 2010, les émigrés belges ont envoyé 10, 4 milliards US$ vers le plat-pays [[ à titre de comparaison, le flux d’argent total envoyé par les immigrés en Belgique vers leur pays d’origine s’élevait à 4, 3 milliards US$ en 2009 ]], ce qui place la Belgique à la huitième position des plus gros receveurs d’argent de ses émigrés au monde. Migration and Remittances Factbook 2011

Alors, elle est où la misère du monde ? Dans la tête de cinq foutus ex-gendarmes.

Petite et dernière remarque… J’avais écrit cet article il y a quelque temps déjà… Mais c’est en tombant sur l’article de The Guardian, Why are white people expats when the rest of us are immigrants? que je me suis dit que j’allais le rééditer… Ma rage reste intacte en ce qui concerne Semira Adamu et les centaines de migrants qui meurent noyés chaque année en Méditerranée.


Stephen Hawking, Kim Kardashian et une sex-tape

C’est étonnant de constater que Kim Kardashian, de niveau intellectuel d’une poule amputée de trois cerveaux soit plus connue, beaucoup plus connue que Stephen Hawking, l’un des plus grand scientifiques vivant de ces deux dernier siècles. La raison ? Stephen Hawking n’a jamais réalisé de sex-tape.

Histoire d’illustrer ce paradoxe de la société du spectacle moderne – un cas de psychologie marcusienne, lire l’Homme unidimensionnel peut aider à comprendre – un prof de science décide de réaliser une sex-tape avec ses élèves.

L’idée de la vidéo (qui est chaude, très chaude. Une production Rock’n’Science! Et merci aux incroyables élèves de l’Ecole Belge de Kigali !) est née du graphique suivant qui a pas mal circulé sur le Net :

Skills Vs Fame

Mais pourquoi un prof de science réaliserait-il une sex-tape ? Pour devenir célèbre et gagner plein d’argent évidemment ! Pas convaincus ? Alors faites le test suivant : demandez à votre entourage qui connaît Kim Kardashian et vous obtiendrez près de 100% de résultats positifs contre 25% de résultats positifs pour le cas de Stephen Hawking. Et pourtant, ces deux personnages n’ont rien en commun !

Suite aux résultats de votre petit sondage rapide, on construit une échelle subjective de compétences, allant de 0 à 10, on peut considérer que Kim a un niveau de compétence proche de 1 (elle sait lire et peut-être écrire) alors que Hawking atteint tranquilou les 10/10. Porté sur un graphique, les compétences et fonction de la célébrité, ça donne ceci :

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On calcule les coefficients angulaires des droites de Kim (0,25/25) et de Hawking (5/25) et on calcule un coefficient angulaire moyen qui va nous servir à tracer une droite moyenne : celle du prof de science – niveau de compétence – qui décide de faire une sex-tape. Quel taux de célébrité atteindrait-il avec son niveau de compétence ? Il faut regarder la vidéo pour connaître la réponse.

Bon amusement ! Et réfléchissez bien à votre avenir.